vendredi 17 octobre 2008

Pour en finir avec les conseils de quartier

Six ans après l’adoption de la loi sur la démocratie de proximité, les conseils de quartiers, ne semblent pas passer de mode dans les communes françaises. La campagne électorale a vu un certain nombre de candidats proposer la création de ces instances de « démocratie participative » dans les collectivités qui en étaient encore dépourvues. Mais si les premiers mois de mandat municipal voient çà et là éclore de nouveaux conseils de quartiers, la désillusion risque à terme d’être profonde, autant chez les élu que chez les citoyens : dans les faits, ces outils sont rarement les plus pertinents pour mener à bien une politique de participation des citoyens.

Trop souvent, la mise en place de conseils de quartiers relève d’une confusion entre le but (développer la participation des citoyens) et le moyen. Trop d’élus envisagent la mise en place de conseils de quartiers comme une fin en soi, sans mener une réflexion approfondie sur le potentiel et les limites de ce type d’instances. Pourtant, mettre en place une politique participative n’est pas anodin : cela commande d’agir dans plusieurs dimensions, y compris sur des terrains où le pouvoir est réticent à s’engager. Si la participation peut répondre à des attentes du pouvoir (animation des quartiers, lien social, relais d’information et de mobilisation, expertise d’usage des habitants), elle s’accompagne inévitablement d’autres besoins (expression de doléances, débat public sur des sujets d’intérêt général, sur des problématiques conflictuelles, débat sur les formes mêmes de participation).

Ces attentes appellent des réponses diversifiées : développer des projets d’animation de quartier nécessite un fonctionnement de type plutôt associatif autour d’un projet partagé, tandis que les concertations sur des sujets d’intérêt général demandent l’expression des opinions les plus diverses. Dès lors, appliquer une politique participative au travers d’un seul outil n’est guère efficace : à devoir servir à tout, les conseils de quartiers finissent par ne plus servir à grand-chose.


Des lieux pour développer le lien social ?

Dans des secteurs où la vie associative est particulièrement pauvre, un conseil de quartier peut contribuer à revitaliser le tissu social. Il s’agira ici plus d’un outil de développement social que de démocratie participative proprement dite. En revanche, lorsque la vie associative du quartier est déjà dense, des associations pourront vivre l’arrivée du conseil de quartier comme une mise en concurrence. D’autres investiront le conseil pour renforcer leur influence auprès du pouvoir, au détriment de structures moins puissantes.

De plus, un tel objectif n’est pas dépourvu de paternalisme : de l’argent public et des fonctionnaires sont mobilisés pour soutenir (et inévitablement pour contrôler) des événements que les habitants savaient autrefois organiser seuls (fêtes ou pique-niques de quartier). Le lien de dépendance qui s’instaure est d’autant moins sain que les conseils de quartier disposent parfois de budgets conséquents : l’écueil du clientélisme est parfois bien réel.


Des lieux d’expertise d’usage ?

Parmi les nombreux poncifs liés à la participation des citoyens, les habitants « seraient les meilleurs connaisseurs de leur quotidien ». Au sein des conseils de quartiers, les citoyens sont donc appelés à aider la municipalité à mettre en application le programme pour laquelle elle a été élue. Outre le fait qu’une telle demande impose à tous les participants de partager le projet de la majorité municipale, elle ne conduit pas forcément à de meilleures solutions techniques. Le simple fait d’habiter le quartier n’a jamais empêché quiconque de proférer des imbécillités.

Ce qui fait la différence ne tient pas à la qualité d’habitant, mais bien d’une part au niveau d’information et de réflexion des citoyens, d’autre part à la capacité d’écoute et de dialogue des fonctionnaires. Mettre en place des conseils de quartiers sans agir dans ces deux domaines ne peut pas produire des résultats satisfaisants.


Des lieux de débat démocratique ?

Le mot « consultatif » est sans doute le plus répandu dans les chartes des conseils de quartier français. La participation ne devrait pas permettre de remettre en question les orientations de la municipalité, puisque celles-ci sont légitimées par le suffrage universel. Fausse d’un point de vue théorique, cette assertion est aussi irréaliste : lorsque l’on donne la parole aux citoyens, ils l’utilisent comme bon leur semble. Si les oppositions ne peuvent s’exprimer en conseil de quartier, elles ne cesseront pas pour autant d’exister et trouveront toujours à s’exprimer ailleurs (presse, manifestations, création d’associations concurrentes, etc.).

Sur les sujets conflictuels (équipements polluants, accueil de populations défavorisées, etc.), il est dans l’intérêt stratégique d’une municipalité d’encourager un débat le plus ouvert, équilibré et argumenté possible. Si les espaces participatifs ne le permettent pas, ce débat aura de toute façon lieu dans la sphère publique, et ce de façon préjudiciable au pouvoir en place (opinions partiales et peu informées, polarisation du conflit, décrédibilisation des instances participatives municipales).

Or, un débat de qualité, au regard de la norme délibérative, est mené selon des modalités propres au sujet traité. Il faut que le temps du débat soit adapté au calendrier du projet (débattre du problème et non d’une solution déjà choisie). Il faut que le territoire de la participation corresponde à celui de la décision. Il faut que chaque acteur du problème puisse équitablement s’exprimer. Il faut que les citoyens non impliqués aient une occasion équitable de s’informer et de se forger une opinion.

En somme, l’espace participatif doit associer transparence de l’information, expression équitable des différents acteurs concernés, accès équitable des citoyens au débat et qualité argumentative des discussions. La « communauté débattante » doit ainsi se recomposer en fonction de chaque sujet traité, ce qui s’accommode mal du caractère figé des instances participatives permanentes.

Ordinairement, les problèmes constatés vis-à-vis des conseils de quartier sont considérés comme des défauts améliorables dans le temps. Le manque de représentativité, de lien avec la sphère publique, de qualité argumentative, d’influence sur les décisions, etc. pourraient ainsi être résolus par un effort de pédagogie et de communication. A force d’observation, on serait pourtant en droit de se demander si ces faiblesses ne tiennent pas à la nature même de ces instances. Le manque de réflexion sur cette question est d’autant plus regrettable qu’à l’étranger, des expériences autrement plus ambitieuses montrent tous les bienfaits d’une politique participative de qualité.

(original : http://www.mediapart.fr/club/blog/shen-faye-romain-lacuisse/171008/pour-en-finir-avec-les-conseils-de-quartier)

2 commentaires:

Anonyme a dit…

Bonjour,
Je viens de lire votre poste sur le "sommet de la biere" sur Mediapart, bravo et merci pour l'éclairage! cela m'a fait retourner sur votre poste et les réunions de quartier...
deux exemples vécus:
dernierement dans une cité, mauvaise information, affichage tardif, le local trop petit, pas assez de chaises, des personnes debout dans le couloir (un ancien appart réhabilité pour les assocs..) aucune sonorisation... le maire (de droite) qui vient accompagné de son équipe, mais qui parle tout seul....Humour du maire pour "tacler" les mauvaises questions/commentaires..
Plus ancien, du coté de Lyon, bonne organisation, "mairesse" (?) socialiste, mais "si vous n'etes pas avec moi, vous etes contre moi" et clivage assocs/ (representant souvent des non-votants..) et retraité(e)s (votants)...
sentiment permanent de batailles perdues d'avance (j'etais coté assoc !), d'arnaque organisée,
retour dans la presse locale et sur la "feuille" du maire, "pipoté", ronflant..
quel gachis!
en tout cas merci pour vos analyses,
il faudrait faire un "noyau" sur médiapart pour commenter et remonter vos fils!
bonne continuation
;o)

Romain a dit…

Merci de ces encouragements. N'hésitez pas en effet à commenter sur Médiapart. Il y a justement une édition "collectivités locales : seulement une question d'institutions" que nous avions initiées pour que justement des abonnées fassent part de leurs expériences : n'hésitez pas à y poster un article !