mardi 4 août 2009

Le «sommet de la bière»: plus qu'un coup de com', un vrai outil participatif

Si juillet est une période propice aux apéritifs en tout genre, l’un d’entre eux a focalisé l’attention des médias aux Etats-Unis. Alors que la querelle raciale née de l’arrestation intempestive de l’universitaire noir Henry Gates commençait à prendre un tour ennuyeux pour la présidence, Barak Obama et Joe Biden ont ainsi invité les protagonistes de cette histoire à partager un verre dans les jardins de la Maison blanche, en toute simplicité.


Ce « sommet de la bière » a été célébré à l’aide d’une politique de communication particulièrement simple et efficace : « il y a eu un malentendu ; plusieurs d’entre nous ont pris des positions sans avoir en main toutes les informations ; nous ne devons pas être pris dans un conflit qui nous dépasse : le mieux est d’en parler dans un cadre détendu ».


Les vertus apaisantes de l’apéro ainsi mises sur le devant de la scène, l’occasion était belle de rappeler qu’en matière de participation publique, le « sommet de la bière » est un réel outil professionnel, trop rarement utilisé.


Débat public : quelle place pour l’émotion ?

Dans les débats publics institutionnels, la panoplie des méthodes participatives mises en place par les organisateurs est souvent restreinte : une réunion publique, la consultation des conseils de quartiers, un sondage par internet, et voici toute la concertation programmée.


Mais qu’il s’agisse de prendre une décision ou de résoudre un désaccord, ces dispositifs ne permettent pas toujours un dialogue aussi profond qu’il devrait l’être. Dans l’espace de la réunion publique, chaque participant intervient avec des enjeux et des représentations qui lui sont propres. S’agissant d’un moment de production d’une décision, l’intérêt de chaque acteur est de faire valoir ses arguments pour parvenir à une conclusion qui le satisfasse, ou du moins qui représente un compromis acceptable. L’institution attend donc des participants qu’ils fassent montre d’un comportement rationnel et émettent des arguments construits.


Un problème survient quand la problématique en question fait appel à des ressorts émotionnels forts. Par exemple, un quartier peut être très dégradé et nécessiter une requalification lourde : cela n’empêche pas ses habitants d’y avoir une histoire, des relations, un certain attachement. Si l’institution ne prend pas garde au contexte émotionnel dans lequel s’inscrit sa réflexion, le dialogue avec la population risque d’être impossible.


On constate ici la tension entre d’une part la nécessité de reconnaître le vécu des participants, et d’autre part une concertation institutionnelle qui tend à rejeter les émotions trop violentes au profit d’attitudes « constructives ». D’où un cercle vicieux : le mécontentement n’est pas reconnu, ce qui incite à l’exprimer plus violemment encore, et donc à être d’autant plus disqualifié, et ainsi de suite.


« Arrêtons de débattre et discutons »

C’est ici que les « sommets de la bière » prennent leur utilité : ils fournissent un moment « à part », où les participants ne cherchent pas directement à résoudre un problème mais sont plutôt invités à partager leurs représentations et leurs émotions. Bien sûr, pour qu’un tel dialogue suscite la confiance, il doit explicitement s’inscrire dans une perspective d’action ultérieure.


L’esprit d’un tel outil se résume ainsi : « avant de continuer à débattre, faisons une pause pour vérifier que nous parlons toujours le même langage, et que chacun se sent toujours à l’aise dans le dialogue en cours ». Pour cela, le cadre n’est pas seulement décoratif : son but est d’inviter le participant à mettre de côté le « rôle » qu’il joue légitimement en réunion publique, pour parler de ses émotions personnelles. C’est aussi l’occasion pour les décideurs de rappeler qu’eux aussi sont humains !


Pour instaurer convivialité et confiance, apéritifs et repas divers sont des outils très appropriés, pour peu qu’ils soient mis en place de manière réfléchie. Très trivialement, il faut prendre garde aux habitudes alimentaires des participants. Il faut aussi se poser la question de la présence ou non d’un médiateur : ici, Obama a joué ce rôle, mais ce peut être impossible quand le décideur est trop impliqué dans une problématique. Surtout, un tel moment ne résout rien tout seul : il faut que les participants soient convaincus que la rencontre qui leur est proposée vise un objectif concret à plus long terme. Un « sommet de la bière » s’inscrit dans une problématique qui a des racines anciennes et complexes, doit se prolonger par d’autres modes de discussions et avoir pour but une ou des actions.


A ces conditions, proposer aux participants à un débat public des moments conviviaux, ponctuellement déconnectés des enjeux immédiats, permet l’adoption d’un langage commun malgré les désaccords, renforce la confiance dans le processus de discussion et permet à chacun de mieux comprendre les points de vue d’autrui. Accessoirement, de tels outils rappellent que débattre des affaires publiques n’est pas toujours d’un ennui mortel !

Article original : http://www.mediapart.fr/club/blog/romain-lacuisse/030809/le-sommet-de-la-biere-plus-qu-un-coup-de-com-un-vrai-outil-particip