mercredi 30 mai 2007

Commentaire : Mary Follett, prophet of participation

Ricardo S. Morse présente les thèses de Mary Follett (1868-1933), travailleuse sociale et intellectuelle américaine dont les théories sur la démocratie et la participation du public trouvent un nouvel écho de nos jours. Ses ouvrages principaux, The new State (1918) et the creative experience (1924) considèrent ces thèmes d’un point de vue théorique autant que pratique, identifiant le quartier comme l’échelle principale d’institutionnalisation de la participation. Constatant qu’en permanence la personne, le groupe et leur environnement interagissent étroitement, elle met l’accent sur le fait que la responsabilité collective ne consiste pas en une simple addition de responsabilités individuelles isolées.

Les divers intérêts exprimés au sein d’une sociétés peuvent se confronter de trois façon : par la domination, par le compromis et enfin par l’intégration. Estimant que le compromis est le plus souvent « temporaire et futile » Mary Follett met plutôt l’accent sur la notion d’intégration. Dans ce cadre, il n’est pas question de trouver un équilibre entre les objectifs individuels, mais de reconnaître l’appartenance de chaque partie à une même communauté, dont il faut rechercher l’intérêt général.

Ce processus d’intégration permet aux participants de développer une véritable réflexion collective, où les idées initiales de chacun s’interpénètrent pour faire émerger une pensée nouvelle. Visant à trouver une synthèse plutôt qu’un compromis voire une majorité, ce processus incarne pour Mary Follet la « vraie démocratie ». Celle-ci se fonde sur une participation authentique, consistant en une méthode par laquelle se construit une communauté, et non comme un instrument manipulé par le citoyen ou par les autorités.

Jugeant que la citoyenneté de chacun s’exerce à tout moment de sa vie et pas seulement dans quelques réunions publiques, Mary Follett met l’accent sur la participation informelle. Il ne faut donc pas perdre une occasion de favoriser ce processus de construction civique. Sans ce travail préalable d’éducation à la réflexion et à la pratique civique, les modes formels de participation aboutissent bien souvent à la frustration de chacun, voire à la déstructuration de la communauté. Pour l’auteur, il est préférable de travailler préalablement à la construction de l’« infrastructure civique ». Comment ? Les services publics locaux peuvent fournir une bonne entrée, en développant les programmes de co-production.

A priori, la participation risque cependant de se heurter à l’apathie du citoyen. Il est vrai que si l’engagement du citoyen se limite à des contacts conflictuels avec autrui lors de réunions publiques ponctuelles, il est illusoire de l’appeler à collaborer à l’intérêt général. De même, il est artificiel de segmenter la population en divers groupes d’intérêt : une personne ne représente jamais un seul intérêt. Rendre le citoyen plus engagé passe avant tout par s’adresser à lui en des termes compréhensibles. Cela implique aussi d’aller à sa rencontre plutôt que de l’inviter à venir dans un lieu spécifique.

Mary Follett développe l’idée de « rencontres d’expériences ». Dans ces réunions, les élus ou experts présentent le sujet abordé avant tout en montrant clairement sa relation avec la vie quotidienne des participants. Les participants sont ensuite invités à rechercher dans leur expérience personnelle tout ce qui pourrait contribuer à enrichir le sujet. Un troisième temps consiste enfin à ouvrir la délibération en cherchant à « unir les expériences ».

Le modèle avancé par l’auteur est basé sur les organisations de quartiers. Au sein de ces structures non officielles, l’esprit civique se développe de diverses façons : par des rencontres régulières y compris en l’absence de sujet précis, par l’apprentissage, par le partage d’expériences, par le participation des habitants à des activités publiques et par les liens avec les autres organisations et les administrations.

La question de l’expertise est souvent un point critique de la participation, dans la mesure où trop souvent l’expert domine le débat en présentant des « faits » jugés incontestables. Pourtant, l’expertise est indispensable en ce sens qu’une information claire, précise et complète est indispensable à la délibération. En fait, la notion d’intégration s’applique aussi aux experts : ils sont une part du processus, au même titre que les autres participants, citoyens ou officiels.

Article original :
http://www.iap2.org/associations/4748/files/Journal_Issue1_FollettbyMorse.pdf

vendredi 25 mai 2007

The collaborative state : des pistes de réflexion pour la démocratie participative

Ouvrage collectif sous la direction de Simon Parker et Niamh Gallagher, Demos, London, 2007

Rédigé par des chercheurs et des professionnels britanniques, australiens et néo-zélandais, édité par le groupe de réflexion anglais « Demos », l’ouvrage intitulé The collaborative state a pour propos de montrer « comment travailler ensemble peut transformer les services publics ». Il met en exergue le fait que « l’on doive mettre l’accent sur la collaboration non seulement comme un idéal, mais surtout comme un principe de base de l’action gouvernementale ».

Pour l’administration, les raisons ne manquent pas de s’engager dans un mode d’action collaboratif. Cela implique pour elle le passage d’une attitude de commande directe à un rôle de coordination d’un réseau qui intègre tous les partenaires ayant une implication dans l’action publique. La participation des citoyens concernés est à ce titre fondamentale. Pour cela, les associations jouent un véritable rôle d’«intermédiaire civique » vis-à-vis des populations les plus éloignées de la parole publique.

Bien sûr, le changement d’attitude que suppose la collaboration ne va pas sans comporter quelques freins, d’autant plus difficile à atténuer qu’ils sont implicites. Pourtant, il est essentiel d’intégrer le principe que ce mode d’action n’est pertinent que s’il constitue la base de l’action publique, et non s’il ne s’agit que d’un « bonus » juxtaposé aux pratiques existantes.

L’ouvrage est intéressant pour Vendôme compte tenu de la démarche participative dans laquelle s’est engagée la ville, d’autant plus depuis la création de la mission cohésion sociale. En effet, les objectifs de la participation des habitants nécessitent de repenser l’action publique vers un modèle plus collaboratif, d’où l’intérêt de renforcer les pratiques existantes en ce sens et de s’inspirer des réussites extérieures dans notre nécessaire réflexion.

Document complet (lecture + traduction du résumé des articles)

mercredi 23 mai 2007

« Pro-social reasoning ...» : Présentation sommaire de la méthode utilisée par l’auteur

Complément de l'article Commentaire : Pro-social reasoning in deliberative policy choices

Les considérations pro-sociales peuvent particulièrement s’activer dans des contextes qui rappellent aux participants des identités de groupe, d’après la psychologie de Mead, le modèle SIDE (Social Identity and De-individuation), et la théorie de l’agence. Cet article examine la diversité d’arguments proposés pour expliquer les choix politiques de la part d’un échantillon représentatif de 568 habitants de Pittsburgh soit ayant participé à une discussion directe ou électronique, soit constituant un groupe de contrôle ayant une attitude purement observatrice et dont les membres sont isolés les uns des autres.

Les hypothèses à vérifier se résumaient ainsi :
- premièrement, les participants en ligne à qui est rappelée la notion de citoyenneté développeront des arguments pro-sociaux dans une plus grande mesure que les membres du groupe de contrôle ;
- deuxièmement, au sein du groupe de contrôle, les arguments pro-sociaux seront plus fréquemment évoqués lorsque les membres se verront rappeler leur citoyenneté.

L’échantillon, constitué par sélection aléatoire de numéros de téléphone, s’est avéré assez représentatif de la population de Pittsburgh, à l’exception d’une sous-représentation des jeunes (19-29 ans) et surtout des habitants les moins diplômés. 4/5 des participants ont reçu un ordinateur avec accès Internet, le reste recevant 100$. Les destinataires de l’ordinateur ont participé à une délibération en ligne de 6h en tout, réparties sur 8 mois. Tous ont été convoqués à une session initiale d’une journée sur un campus, ces journées étant réparties sur 3 semaines en juillet. La répartition des participants s’est faite au hasard.

Les rappels de citoyenneté se faisaient par la visibilité du drapeau national et la mention « citoyen » sur les badges des participants.

La question soumise à la délibération était « Dans quelle mesure êtes-vous d’accord avec la phrase : dans les années à venir, le district scolaire de Pittsburgh devra fermer des écoles en plus de celles à fermer cette année ? » (réponse sur une échelle de 0 à 6) En introduction, il a été demandé aux participants de considérer les arguments aussi bien pour que contre la fermeture d’écoles. Des indicateurs d’un raisonnement pro-social ont été définis et mesurés à l’aide de questions, de même qu’à l’inverse des indicateurs d’« esprit de clocher ». Des indicateurs démographiques ont enfin été constitués.

Les conclusions de l’enquête montrent que la délibération ne suffit pas en elle-même à favoriser le raisonnement pro-social. En revanche, une conscience accrue de l’identité collective se traduit bien par une fréquence plus grande des choix pro-sociaux et une baisse des arguments non pro-sociaux.

Commentaire : Pro-social Reasoning in Deliberative Policy Choices

Article de Peter Muhlberger, International journal of public deliberation

La théorie délibérative suppose que, dans une discussion digne de ce nom, les citoyens considèrent les problèmes non seulement dans une perspective individuelle, mais également sous d’autres angles de vue. S’ils envisagent effectivement les choses sous des perspectives multiples, ils peuvent se montrer plus enclins à accepter les arguments « tournés vers la communauté » ou « pro-sociaux »comme des considérations à prendre en compte dans leur délibération.

La théorie aussi bien que l’expérience scientifiques suggèrent que la déliberation peut particulièrement promouvoir le raisonnement pro-social lorsqu’il est rappelé aux participants qu’ils sont avant tout des citoyens —par exemple en leur rappelant qu’ils appartiennent à une communauté ou une société, et que ce fait est une part de leur identité, une « part d’eux-mêmes ». Au cours de la délibération, l’opinion du public tend ainsi à se rapprocher d’une opinion d’expert en ce sens qu’elle se préoccupe du bien-être du public au sens large.

Il découle de la notion de raison communicationnelle développée par Habermas que la parole a un réel pouvoir sur les comportements pro-sociaux. Ainsi, la visibilité d’autrui et les interactions que l’on peut avoir avec lui se révèlent plus influents que des engagements moraux individuels à se préoccuper du bien commun.

Les débats électroniques en particulier peuvent contribuer à modérer l’influence d’une pensée purement auto-centrée et développer la pensée pro-sociale. En effet, les participants y sont moins sujets aux facteurs renvoyant à l’identité personnelle tels que le regard d’autrui ou la communication non verbale. Ainsi, les personnes débattant en ligne perçoivent les opinions qui leur parviennent comme émanant d’individus qui leur sont semblables.

Cet article examine les arguments exprimés par les participants pour élaborer de choix politiques, lors d’un processus délibératif qui s’est tenu à grande échelle à Pittsburgh. Cette étude a montré que les arguments pro-sociaux ont un impact effectif sur les choix politiques des personnes à qui l’on a rappelé une identité de collective déterminante : leur citoyenneté. Elle a également trouvé un impact accru des arguments pro-sociaux lorsque ces rappels sur la citoyenneté sont introduits dans des délibérations en ligne.

On doit en retenir que la notion de citoyenneté n’est jamais totalement intégrée dans l’identité des participants, et par conséquent que la délibération ne suffit pas à elle seule à favoriser les raisonnements pro-sociaux au détriment de l’esprit de clocher. D’où l’intérêt de rappeler aux participants leur identité collective, ce qui peut orienter leur pensée vers l’intérêt de la communauté et non plus vers leur intérêt personnel.

Article original : http://www.iap2.org/associations/4748/files/Journal_Issue1_Muhlberger.pdf

mardi 15 mai 2007

Commentaire : Democracy at the core : recalling participation's raison d'être

Le premier numéro de l'International journal of public deliberation est paru. Dans ce premier article, Michael Briand rappelle les valeurs fondamentales de la participation du public selon l'international association for public participation (www.iap2.org):

1. Les citoyens doivent faire entendre leur voix dans les décisions sur des actions pouvant affecter leurs vies.
2. La participation du public inclut l’assurance que la contribution du public influencera la décision.
3. La participation du public favorise la prise de décisions soutenables, par la reconnaissance et l’expression des intérêts et des besoins de l’ensemble des participants, y compris les décideurs.
4. La participation du public suppose de rechercher et faciliter l’implication des gens potentiellement affectés ou intéressés par une décision.
5. les participants sont sollicités dans la conception des modalités de leur participation.
6. Les participants se voient apporter l’information dont ils ont besoin pour contribuer de manière significative.
7. Les participants sont tenus informés de la manière dont leur contribution a influencé la décision.


La participation du public est une condition essentielle de la démocratie. L’auteur reprend la justification de la démocratie selon Amartya Sen, en déduisant que celle-ci n’est pas seulement un mode de gouvernement mais un réel mode de vie, le moyen de vivre ensemble dans une « juste relation » avec les autres.

En démocratie, l’égalité des citoyens ne se limite pas à l’égalité des droits individuels : elle implique aussi une réelle influence sur le processus de décision politique. Cela est résumé par l’aphorisme : « quand tous sont concernés, tous décident ». Cela va au-delà des libertés de se réunir, de s’exprimer, et de participer à des élections. Amy Gutmann et Dennis Thompson ajoutent ainsi un principe de réciprocité : chacun doit à autrui un effort pour justifier ses choix politiques par des raisons réciproquement acceptables. Cela revient à expliquer à ses concitoyens, dans des termes compréhensibles, pourquoi la position que l’on défend doit aussi être défendue par les autres.

La participation du public permet de corriger les défauts du système représentatif, qui s’éloigne imperceptiblement mais certainement de ses objectifs démocratiques. Or, la représentation ou le vote majoritaire, ne sont pas en eux-mêmes des buts : le fondement de la démocratie est la détention de la souveraineté par l’ensemble des membres d’une société ou d’une communauté, dans une égale mesure. Chacun compte pour une voix, ni plus ni moins ; or, dans le vote majoritaire, la voix des perdants compte finalement pour zéro. De plus, spécialement aux Etats-Unis, l’égalité des voix est remise en question par le fait que n’ont accès au débat que les personnes capables de lever des fonds considérables, les candidats sortants étant nettement avantagés. La dérive vers l’oligarchie est donc bien réelle.

Compte tenu du caractère inaliénable de la part de souveraineté dont dispose le citoyen, l’élu ne dispose pas d’un chèque en blanc. Il a le devoir d’écouter le citoyen et de tenir compte de ses besoins, intérêts, expériences, valeurs et priorités. Il a donc le devoir de l’impliquer dans la discussion.
Ainsi, si la démocratie suppose que les citoyens soient également libres de faire entendre leur voix, encore faut-il qu’ils en aient la capacité réelle, ce que permet de moins en moins le seul système représentatif. La participation du public, régie par le principe de réciprocité est indispensable pour garantir cette exigence démocratique.

Article original : http://www.iap2.org/displaycommon.cfm?an=1&subarticlenbr=190