lundi 30 juillet 2007

Participation, deliberation, and representation in the policy process

Archon Fung

Article original : http://www.usc-cei.org/pdfs/Fung_ParticipationDeliberationRepresentation.pdf

A quoi sert la participation des citoyens ? Quels sont les intérêts de la démocratie délibérative ? On aurait peine à imaginer que l'implication du citoyen dans les affaires publiques serait un bien en soi : après tout, le citoyen ne participe que s’il a pour cela un motif, ainsi que des résultats à en attendre.

La participation demande de l’énergie : une démarche participative n'est pas opportune lorsque les affaires publiques peuvent être confiées en toute confiance à des représentants politiques et techniques. Le but de cet article est de montrer que, bien souvent, un système entièrement fondé sur la participation se révèlerait aussi absurde qu'un système exclusivement représentatif.

L'idée est ici de montrer quelles failles profondes comporte un processus de décision traditionnellement basé sur la représentation politique et l’expertise technique, expliquant en quoi la démocratie délibérative peut contribuer à les résorber.





De manière très élémentaire, le processus de décision dans les démocraties occidentales se dessine ainsi : les citoyens ont des intérêts, et expriment des préférences politiques dont ils pensent qu'elles défendront ceux-ci au mieux. Ces préférences sont adressées au politique par l'intermédiaire des élections, par lesquelles ils donnent mandat à leurs représentants pour élaborer des politiques répondant à ces intérêts. Du fait de la séparation des pouvoirs législatif et exécutif, l'administration est chargée de mettre en œuvre ces politiques, produisant des résultats qui seront évalués par les citoyens à l'occasion des élections suivantes.

La représentation et le fait que les élus rendent des comptes aux administrés (accountability, imparfaitement traduisible en "responsabilité") s'exercent donc exclusivement par le mécanisme électoral.

Or, quatre défauts majeurs dans ce processus empêchent souvent les élections de jouer pleinement ces deux rôles, d'où un déficit démocratique certain.


Figure 2. Democratic Deficits in the Policy Process




Premièrement, il arrive souvent que les citoyens aient des préférences peu claires ou instables, qui pourraient changer à la lumière d'informations ou d'arguments nouveaux. Deuxièmement, les signaux adressés par les citoyens aux politiciens sont atténués par leur éloignement respectif. Cette faille concerne aussi les sujets exclus des campagnes électorales.
Troisièmement, les mécanismes électoraux ne suffisent pas à garantir la responsabilité des élus devant les citoyens. D'une part il s'avère souvent difficile d'évaluer objectifs et résultats, d'autre part l’administration échappe parfois au contrôle du politique, d'où un déficit de responsabilité devant les électeurs. Quatrièmement, certaines attentes des citoyens échappent pour tout ou partie au politique, la résolution de certaines problématiques requérant l'intervention d'acteurs de la société civile (développement économique, environnement,…).


1 : Délibération et formation des préférences

Les outils destinés à une meilleure articulation des préférences des citoyens se fondent le plus souvent sur des échantillons de population : sondage délibératif, jurys citoyens, conférences de consensus,… Souvent, et il s'agit d'un problème, le choix des sujets soumis à l’agenda délibératif est le fait des décideurs exclusivement

La qualité du processus de formation des préférences par les citoyens dépend en grande partie de la qualité de la sphère publique : médias, associations,…

Les citoyens sont en mesure de formuler des préférences bien établies surtout quand ils ont conscience d’avoir une influence réelle sur le sujet en question (choix de l'école de son enfant, de ses commerces). Dans les autres cas, où la décision est perçue comme venant de l’extérieur, ces préférences sont beaucoup moins bien établies que celles que peuvent avoir adoptées les décideurs (construction d'un parc, aménagement d'un quartier). La confrontation de ces deux types d’acteurs peut, lorsqu’une menace est perçue par les citoyens (LULUs : locally unwanted land uses), laisser émerger des préférences construites sur un mode purement réactionnaire.

Pour contribuer à une meilleure formulation des préférences, les méthodes participatives et délibératives doivent rechercher l’implication du plus grand nombre de citoyens possible.


2 : Délibération et re-légitimation communicative

Il est faux de dire que le système représentatif cantonne les citoyens à un rôle passif. En réalité, ceux-ci mandatent et encadrent leurs représentants. Ces derniers agissent en anticipant la réaction des citoyens (aux prochaines élections), et non en ayant obtenu des instructions préalables de leur part. Les chercheurs insistent sur la nécessité d'interactions multiples entre élus et citoyens pour améliorer la qualité de cette "anticipation représentative".

Les campagnes électorales sont très nettement insuffisantes pour cela, d'où l'intérêt de la participation et de la délibération. Aux Etats-Unis, auditions publiques, "focus groups" et groupes de discussion sont souvent utilisés pour cela.

L'auteur prend pour exemple la reconstruction du site du World Trade Center après les attentats. Une grande concertation s'est déroulée sous la forme du "21th century town meeting" d'America Speaks : les débats se sont tenus à des centaines de tables de 10 personnes, reliées à un ordinateur central collectant les préférences des citoyens. Cette méthode allie à la fois les bienfaits du travail en petit groupe et ceux d'un consensus à grande échelle. (NB : méthode promue par des ONG, non par des institutions).

Un fort relais médiatique permet une pression de la part des médias et de la société civile sur les décideurs, qui garantit que les résultats de la délibération soient bien pris en compte.


3: Délibération et responsabilité des représentants devant le peuple

Une menace importante pèse quand les intérêts des élites politiques diffèrent systématiquement de ceux du peuple, et quand les mécanismes électoraux sont trop faibles pour y remédier. Deux obstacles s'opposent plus particulièrement aux élections comme moyen de rendre des comptes : la délégation administrative et le clientélisme.

Les démocraties modernes constatent une tendance des administrations à élaborer, de manière de plus en plus indépendante, des politiques répondant à leurs propres agendas, intérêts et préférences. Un processus délibératif et participatif indépendant, transparent et largement médiatisé est à même d'obliger élus et administrations à tenir compte des préférences des citoyens, et donc à assurer le lien entre les actions menées et les préférences des citoyens.

Par exemple, le budget participatif de Porto Alegre a constitué le passage d'un système clientéliste à un processus de prise de décision populaire. L'adoption de telles institutions participatives, contournant l'appareil représentatif, semble cependant extrême pour les villes occidentales, où le clientélisme et la corruption sont souvent bien moins ancrés.


4 : Délibération, gouvernance et accroissement de la capacité collective de résolution des problèmes

Les institutions doivent de plus en plus faire face à des situations qui requièrent la coopération d'acteurs non-gouvernementaux. Le terme de "gouvernance" illustre ce déplacement de l'action publique au-delà des strictes frontières institutionnelles, du fait d'une complexité croissante des problèmes et de leurs causes, de la multiplicité des intérêts en jeu,…

L'auteur avance le concept d'Empowered participatory governance : utiliser la délibération des acteurs, entre eux et avec les représentants officiels, pour produire des décisions publiques répondant au mieux à des problèmes concrets, complexes et pressants. Cet objectif requiert des formes de délibération plus intensives, rendant illusoire une participation des citoyens à grande échelle : ils s'agit ici d'amener les acteurs à un niveau d'expertise leur permettant de discuter d'égal à égal avec les techniciens. Ici, la participation et la délibération s'attachent plus l'élaboration collective de l'action publique qu'à la résolution de conflits de valeurs morales. On répond au problème de capacité publique de résolution des problèmes, non celui posé par la représentation.


Conclusion :

Les exemples développés dans cet article montrent que la démocratie délibérative peut répondre à 4 failles majeures du système de décision utilisé dans les démocraties occidentales. Loin de s'ériger en concurrentes du système représentatif, ces méthodes trouvent leur intérêt dans la combinaison d'institutions et procédures participatives / délibératives / représentatives à chaque fois adaptée au contexte politique et au problème traité.