vendredi 23 mars 2007

L’Université du citoyen : présentation de la méthode et perspectives pour Vendôme

Compte-rendu de l'assemblée plénière du 22 février 2007, note rédigée pour la ville de Vendôme


L’association « Université du citoyen » a été fondée à Marseille en 1992. Elle exporte ses méthodes dans d’autres villes, dont la plus proche est Châteauroux. Elle a pour but de « créer les conditions de la participation des habitants à l’action publique » :
- d’une part en offrant un espace de coproduction de projet entre habitants, élus et professionnels ;
- d’autre part, en ciblant son action vers les personnes les moins enclines à prendre la parole en publique : comme son nom l’indique, il s’agit avant tout d’un outil de formation du citoyen.

L’action de l’Université du citoyen s’est développée dans le contexte de la politique de la ville. Si Vendôme est assez éloignée de cette problématique, il nous serait toutefois particulièrement utile de nous inspirer de cette expérience.

En effet, le déficit de participation des jeunes et des habitants des quartiers populaires aux instances participatives vendômoise n’a pas encore trouvé de solution. La méthode suivante pourrait donner de bons résultats :

- l’action repose sur un comité de pilotage regroupant les acteurs du quartier (travailleurs sociaux, représentants institutionnels et associatifs,…) ; un travail préalable permet de fédérer ces acteurs autour d’un objectif et de méthodes communs : concrètement, ce groupe prépare les assemblées d’habitants (« assemblées plénières ») ; il s’agit de choisir le thème de l’assemblée, inviter des intervenants, s’entendre sur un fil conducteur des débats et sur leur animation, choisir un prestataire pour la salle et le repas, et – point crucial – mobiliser des participants ;

- l’assemblée plénière rassemble de 30 à 100 habitants autour d’un thème choisi par le comité de pilotage (ce jour-ci, « Les conduites à risque » ont mobilisé 80 participants) :
o le matin, des sous-groupes d’une dizaine de personnes sont constitués, et débattent du thème choisi sous la conduite d’un animateur veillant à l’écoute et à la participation de chacun ; ces sous-groupes mêlent des profils différents (y compris le mélange entre habitués et nouveaux participants) ; le sous-groupe désigne un porte-parole qui présentera le compte-rendu des débats à l’assemblée de l’après-midi ; on note également les questions à poser aux experts intervenant l’après-midi ;
o l’ensemble des participants est invité à un repas le midi ; ce jour-là, c’est une association d’insertion qui l’avait préparé ;
o l’après-midi, tous les participants se rassemblent pour écouter les comptes-rendus des porte-parole ; un débat s’engage avec les intervenants (pour le thème des conduites à risques, étaient présents deux psychologues, un médecin et un éducateur spécialisé) ;
o une fiche d’évaluation est remise aux participants

- l’autre outil, nommé « atelier citoyen », accompagne sur la durée un groupe de personnes concernées par un sujet ou un projet particuliers. Son déroulement est très proche d’autres outils délibératifs (jury citoyen), dont il diffère par un moindre souci de représentativité statistique.

Cette méthode me semble particulièrement intéressante pour atteindre notre objectif de mobilisation des jeunes et habitants des quartiers populaires :

- les différents acteurs des quartiers populaires de Vendôme ont déjà des expériences de travail en commun : pour ne citer qu’un exemple, le groupe de partenaires de la journée interculturelle organisée le 30 mars par la CAF et la ville ressemble par de nombreux aspects aux comités de pilotage de l’Université du citoyen ;
- la présence dans le comité de pilotage d’acteurs institutionnels ou associatifs reconnus par la population facilite la mobilisation des habitants ;
- cette méthode présente une qualité délibérative élevée, qui rend très pertinente son intégration à la démarche participative de Vendôme :
o les animateurs garantissent une prise de parole « non biaisée » de la part des habitants, ils favorisent l’expression de chacun en toute équité ;
o ils garantissent également l’échange d’arguments et l’écoute mutuelle ;
o l’intervention d’experts, dans un deuxième temps, et leurs échanges avec le public dans des termes compréhensibles par tous accroissent encore la qualité argumentative du débat ;
o l’expression des habitants n’est pas une fin en soi : il est tout à fait possible d’appliquer cette méthode en vue de l’élaboration d’une décision politique, respectant ainsi nos objectifs de démocratie participative ;
o les habitants sont mis en confiance et formés à l’échange d’arguments, ce qui leur permet ensuite d’exposer leur point de vue dans des réunions associant une population plus diverse (à charge pour l’animateur de ces réunions de continuer à garantir l’équité des prises de parole) ;
- surtout, cette méthode est l’une des rares à croiser les dynamiques ascendantes et descendantes de la participation : si la stratégie d’autonomisation de la population est très présente, elle s’exprime dans un cadre délibératif et non conflictuel.

La méthode permet de repousser les limites habituelles de la démocratie participative, mais ne les abolit pas complètement :
- difficulté à mobiliser de nouveaux participants : ce risque est bien réel, il revient aux organisateurs de la maîtriser en sachant « lâcher la main » des personnes formées à la prise de parole, pour aller à la rencontre de nouvelles populations ;
- manque de lien avec les décisions politiques : ce qui est un problème mineur à Marseille, où la participation des habitants est le fait d’une société civile bien mobilisée et organisée qui peut se passer du politique, se révèlerait très préoccupant à Vendôme où la démocratie participative est quasi-exclusivement d’origine institutionnelle et la société civile locale modérément développée. Montrer que la délibération a une influence profonde sur les décisions politiques est indispensable pour encourager la mobilisation des habitants : favoriser « l’expression pour l’expression » n’améliorerait guère la vie des Vendômois, ou alors à très long terme.
- l’expression des personnes les plus éloignées de l’espace public est l’intérêt principal, mais aussi le risque majeur : on peut facilement aboutir à la conception d’outils participatifs réservés à différentes catégories de population et totalement hermétiques l’un à l’autre ; il faut donc que cette méthode soit intégrée à une démarche participative globale.

vendredi 2 mars 2007

Débat public non respecté : le TA de Bordeaux annule une décision ministérielle

A la surprise même des opposants au projet, le Tribunal administratif de Bordeaux a annulé le 1er mars la décision du Ministère de l’Equipement retenant le principe de la réalisation d’un grand contournement autoroutier de Bordeaux, pour cause de non-respect de la procédure de débat public[1].

Comme pour tout projet de cette ampleur, la Commission nationale du Débat public a été saisie en janvier 2003 et a décidé d’organiser un débat dont l’animation a été confiée à une commission particulière. Ce débat a eu lieu du 2 octobre 2003 au 15 janvier 2004.

Or, le 18 décembre 2003 s’est réuni le Comité interministériel d’aménagement et de développement du territoire (CIADT), qui a entre autres défini une ambitieuse politique de transports pour les 30 années à venir. A cette occasion, « le Gouvernement souligne l’importance du débat public en cours sur les conditions de circulation offertes au trafic de transit au droit de l’agglomération bordelaise, et souhaite qu’il permette un avancement rapide des études du contournement autoroutier de Bordeaux[2]. »

Dès lors quel crédit accorder au débat public en cours ? Celui-ci consiste en une discussion sur l’opportunité ou non de réaliser le projet, mais avant même que le débat soit clos, le gouvernement fait déjà connaître sa décision ! Souvent perçue comme un moyen de « noyer le poisson », la procédure de débat public voyait alors sa crédibilité gravement menacée.

La Commission particulière du débat public a alors pris la décision unanime de démissionner. Néanmoins, un compte-rendu du débat a été rédigé par le président de la CPDP. Dans son bilan, le président de la CNDP rappelle en effet que « le débat public a vraiment eu lieu » et que « ses apports se révèlent d’une richesse et d’un intérêt remarquables[3] ».

Comme la procédure le prévoit, le Ministère de l’Equipement a rendu sa décision à la suite du débat public (le 14 mai 2004[4]). Sans surprise, celle-ci s’est avérée favorable à la poursuite des études relatives au projet. Sans surprise également, les associations d’opposants au projet ont attaqué cette décision au motif que l’engagement pris par le gouvernement avant le débat public a vidé ce dernier de sa substance.

La LGV PACA aussi ?

Le TA de Bordeaux vient donc de donner raison aux opposants contre le Ministère de l’Equipement, mais désavouant également dans une certaine mesure la CNDP elle-même. Si celle-ci a rappelé les dangers de l’impact de telles annonces gouvernementales sur la crédibilité de la procédure, elle n’a pas pour autant considéré que les décisions du CIADT étaient de nature à vicier le débat public en cours sur le projet. A la différence de la démission spectaculaire de la Commission particulière, la CNDP s’est toujours montrée particulièrement diplomate dans ses commentaires.

Il n’en demeure pas moins qu’une telle jurisprudence est à même de renforcer le poids du débat public, en faisant (au moins théoriquement) de ces quatre mois un « temps protégé » servant véritablement à préparer une décision, et non une simple formalité servant uniquement à ralentir des décisions déjà établies.

A noter qu’un incident semblable s’est produit lors du débat public sur la LGV PACA. Christian Estrosi, Président du Conseil général des Alpes-Maritimes mais également Ministre de l’Aménagement du territoire, a fait connaître ses préférences peu avant la fin du débat, suscitant la colère des opposants au projet. La décision du TA de Bordeaux donnera-t-elles des idées aux associations anti-LGV PACA ? Sans doute, même si dans ce dernier cas l’atteinte à la sérénité du débat est plus morale que formelle : compte tenu de ses divers mandats, M. Estrosi a exprimé une opinion personnelle qui ne représente pas une décision ministérielle.

Si la jurisprudence peut contribuer protéger le débat public, seule la bonne foi des différents maîtres d’ouvrage pourra faire de cette procédure un véritable outil d’amélioration commune des décisions en matière de grands projets.


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[1] http://thomas.lugagne.free.fr/JugementTA_CAB.pdf
[2] CIADT du 18/12/2003, communiqué de presse (http://www.diact.gouv.fr/datar_site/datar_framedef.nsf/webmaster/ciadt_framedef_vf?OpenDocument)
[3] Bilan du débat public par Yves Mansillon, président de la CNDP, 16/02/04 (http://www.contournement-bordeaux.aquitaine.equipement.gouv.fr/IMG/pdf/Bilan_debat_public-president_CNDP_cle0ca6ba.pdf)
[4] http://www.contournement-bordeaux.aquitaine.equipement.gouv.fr/IMG/pdf/CABx-DM_140504_JO_5-06-04__cle1e4b82.pdf