mardi 1 avril 2008

Le pouvoir peut-il démocratiser la société ?

Dans ses formes institutionnalisées, la "démocratie participative" présente le risque de n'accorder crédit qu'aux débats formels, spécialement construits par des professionnels, en négligeant les formes de dialogue et de constestation qui peuvent émerger spotanément au sein de la société. Une réelle démocratisation supposerait ainsi la vitalité à la fois des "débats sauvages" et des "débats d'élevage" *.

A ce propos, le point de vue du citoyen n'est pas tout à fait celui du fonctionnaire. Certes, je suis entièrement d'accord avec la nécessité d'articuler les formes institutionnalisées de participation avec les débats qui naissent spontanément dans la société. Mais il me semble qu'en s'attribuant cet objectif, certains élus risquent paradoxalement de s'immiscer dans la société civile plus qu'il ne serait souhaitable d'un point de vue démocratique.

A la lecture de programmes de candidats aux municipales dans certaines villes apparaît souvent le souci de remédier à une défaillance du lien social, de renforcer la démocratie par le soutien aux initiatives civiques ("citoyennes" dans le langage à la mode), à la vie associative, ... Je me demande si ces objectifs ne comportent pas des effets pervers : l'une des principales garanties démocratiques ne tient-elle pas justement au degré, certes d'organisation et de mobilisation, mais aussi d'autonomie de la société civile ? Peut-on réellement parler de démocratisation si dans les faits la mobilisation des citoyens dépend du soutien voire de l'initiative des pouvoirs publics ? Une autre garantie démocratique essentielle ne réside-t-elle pas dans la liberté du citoyen ?

Dans ce cas, je suis toujours gêné d'entendre des élus ou des fonctionnaires sous-entendre qu'il faudrait former de "bons citoyens", soucieux de l'intérêt général et pleinement acteurs de leur cadre de vie. Si je partage ce souhait d'un sens civique accru dans la société dans laquelle je vis, il me semble dangereux que ce soit l'institution qui se charge de cette croisade : le pouvoir n'a pas à définir qui est un bon citoyen et qui ne l'est pas, fût-ce avec des intentions tout à fait généreuses.

Ces démarches d'"empowerment institutionnel" semblent présenter cette faiblesse intrinsèque : efficaces dans une perspective de collaboration entre citoyens et pouvoir, sont-elles encore pertinentes en cas de conflit ? Voire dans certains cas, ne risquent-elles pas d'interdire la survenue de ces conflits, pourtant essentiels pour la maturation de la société civile ?

D'un point de vue professionnel, il me semble donc important de distinguer deux questions :
- 1°) Quelles sont les actions à développer pour renforcer la démocratie locale ?
- 2°) Quelles sont les actions que le pouvoir peut mener pour renforcer la démocratie locale ?

Je suis de plus en plus convaincu que certaines actions de démocratisation ne peuvent être qu'ascendantes : le pouvoir peut (et doit) y prêter attention et les intégrer à ses processus décisionnels, mais il n'est pas souhaitable qu'il les suscite lui-même ou s'y montre indispensable. Par définition, une démarche ascendante initiée par le pouvoir n'est pas ascendante ! Cela n'empêche pas l'action publique locale d'ignorer souvent ce paradoxe.

Considérant le volet "démocratisation", il serait peut-être plus pertinent que l'institution montre d'une part la modestie de se concentrer sur les "débats d'élevage" en acceptant le fait qu'ils ne représentent qu'un fragment de l'espace public, d'autre part l'ambition et le courage de garantir la qualité de ces débats, au travers d'une certaine indépendance des organisateurs/animateurs (par exemple par le biais d'une "commission locale du débat public").

D'autre part, si le pouvoir doit s'abstenir de faire naître des formes de mobilisation civique qui ne seraient que des succédanés, cela n'interdit pas pas pour autant de mener des politiques sociales et d'animation ! Toute la nuance réside dans le niveau d'autonomie indispensable qui doit être garanti aux citoyens et à leurs formes d'organisation collective. Si cette garantie existe évidemment en droit, une réelle démocratisation supposerait que cette autonomie soit encouragée dans les faits. Alors que de nombreux discours politiques soulignent la nécessité d'une présence institutionnelle accrue, ne faudrait-il dans une certaine mesure réhabiliter les vertus démocratiques de l'absence ?


* Expressions utilisées par Laurent Mermet, "Débattre sans savoir pourquoi", Le débat public, une expérience française de démocratie participative, sous la direction de Cécile Blatrix, Loïc Blondiaux, Jean-Michel Fourniau, Bertrand Hériard-Dubreuil, Rémi Lefebvre, Martine Revel, Paris, La Découverte, 2007