mercredi 31 octobre 2007

Retour sur Tomorrow's Europe (II) : lien avec la démocratie locale et Vendôme

Si l'idée de proposer un sobndage délibératif à Vendôme apparaissait au début du week-end une boutade, après observation de Tomorrow's Europe et au vu d'autres sondages délibératifs réalisés par ailleurs, l'application de la méthode au niveau local pourrait trouver sa pertinence.

Premièrement, le fait que la démocratie délibérative ne soit absolument pas enracinée en France (quasi-inconnue au niveau universitaire, absolument inconnue au niveau politique et administratif) est perçu par les chercheurs d'autres pays comme une réelle incongruité. Chinois enseignant à l'Université de Deakin (Australie), le professeur He Baogang n'a pas caché son incrédulité lorsque nous lui avons exposé cet état de fait. La démocratie délibérative s'inspirant de la démocratie athénienne, il lui paraît très surprenant que la France, justement héritière de cette démocratie, ignore totalement ce domaine. Loïc Blondiaux (IEP de Lille - l'un des principaux chercheurs français dans le domaine de la démocratie participative et surtout de la démocratie délibérative) voit entre autres sources de ce particularisme le fait que le terme "délibération" soit considéré chez nous comme le monopole exclusif des assemblées élues.

Outre la question démocratique, l'intégration du sondage délibératif à la définition de l'action publique peut se justifier. Le cas de Zeguo, en Chine (2005), peut nous apporter un éclairage en ce sens. Cette municipalité de 120 000 habitants environ s'est trouvée confrontée à une réduction de son budget, n'étant en capacité de financer qu'un tiers des projets d'investissements qu'elle se proposait de mener. Les dirigeants locaux ont décidé de faire appel aux citoyens pour définir les projets à considérer comme prioritaires.

Le sondage délibératif organisé à ce propos a montré une réelle capacité à argumenter de la part des citoyens membres de l'échantillon représentatif – dont certains étaient pourtant illettrés. Le fait que les dirigeants se soient engagés à tenir compte des résultats de la délibération, et aient tenu parole, a rétabli un lien de confiance réel entre citoyens et élites dans un régime pourtant autoritaire (depuis, hélas, les changements survenus dans l'organisation locale du Parti communiste ont empêché cette expérience de se reproduire).

Evidemment, la pertinence du sondage délibératif de Zeguo est d'autant plus forte qu'il s'agit de la seule procédure réellement démocratique dont ont bénéficié les citoyens de la ville. Ce n'est pas le cas chez nous bien sûr, mais si l'on considère notre intention d'associer le citoyen aux décisions prises par la commune, il est intéressant de se pencher sur les potentialités du sondage délibératif.

Outre le fait qu'il peut contribuer à produire une opinion publique plus informée et représentative, à même de donner plus de légitimité aux décisions publiques qui s'ensuivent, le sondage délibératif présente également un intérêt du fait de son impact médiatique et symbolique. Si son organisation, lourde, représente à elle seule un projet d'une année, cette méthode est généralement un événement marquant dont les bénéfices s'expriment également en termes de notoriété et de confiance des citoyens envers leurs institutions. Compte tenu de son ampleur, cette procédure ne peut s'appliquer qu'à un nombre restreint de problématiques.



Dans le cas de Vendôme, j'en retiens deux possibles, dont une seule peut cependant être traitée intégralement au niveau local :

- la définition des investissements prioritaires (à un horizon de 3 à 6 ans par exemple), comme cela s'est passé à Zeguo ;
- le traitement de la question des gens du voyage (cf le sondage délibératif de 2007 en Bulgarie), mais cela ne pourrait avoir lieu qu'au niveau départemental.

Dans l'absolu, le SCOT, le PLU et le PDU seraient, en tant que documents fondateurs du développement de la collectivité, les thèmes par excellence à soumettre à la délibération publique communale ou intercommunale. A Vendôme, ces procédures semblent cependant trop avancées pour que cela puisse être le cas.

lundi 29 octobre 2007

Retour sur "Tomorrow's Europe" (I) : le sondage délibératif

Les 13 et 14 octobre derniers s'est déroulé le sondage délibératif "Tomorrow's Europe", dans les locaux du Parlement européen à Bruxelles. Organisé par "Notre Europe", groupe de réflexion fondé par Jacques Delors, cet événement a revêtu une grande force symbolique pour la première fois, un échantillon représentatif des citoyens de l'Union européenne a pu délibérer sur les questions liées à l'avenir de l'Union, et ont pu questionner et être écoutés par un panel de dirigeants européens de haut niveau.

Qu'est-ce qu'un sondage délibératif ?

Le sondage délibératif (deliberative polling) est une méthode conçue par les Professeurs James Fishkin et Robert Luskin, de l'université de Stanford (Etats-Unis). Son invention procède de trois constats :

- si les sondages d'opinion traditionnels assurent une représentativité statistique réelle de la population, les opinions formulées par les personnes interrogées sont souvent "les premières qui leur passent par la tête" : elles ne révèlent pas d'opinion réellement informée et réfléchie. Parfois même les personnes interrogées n'ont aucun intérêt pour le sujet qui leur est proposé ;
- le phénomène d'"ignorance rationnelle" pèse sur la formation de l'opinion publique : puisque rien ne garantit que ma voix sera écoutée, pourquoi prendrais-je sur mon temps libre pour m'informer et débattre de sujets d'intérêt général ?
- lorsque nous discutons d'un sujet controversé, nous avons tendance à n'écouter que les personnes partageant nos opinions : pour avoir une opinion publique réellement informée, il faut que l'ensemble des arguments liés à un sujet puissent être entendus.

Le sondage délibératif vise donc à pallier ces insuffisances des sondages classiques, en produisant une opinion publique "représentative de ce que penserait la population si elle avait accès à toute l'information disponible sur le sujet". L'égalité politique des citoyens est garantie par le tirage au sort : une fois la composition de l'échantillon définie, chacun a une chance égale d'être tiré au sort pour participer à l'événement. Un sondage délibératif se déroule de la sorte :

- un sondage traditionnel est réalisé auprès d'un échantillon représentatif de la population considérée ;
- cet échantillon, ou parfois un sous-échantillon également représentatif, est convié à un week-end de délibération tous frais payés (voire souvent avec une indemnité), au cours duquel les citoyens délibèrent en sous-groupes et en plénière (200 à 500 personnes), se voyant donner toute l'information disponible sur les choix à prendre (y compris les arguments des différents acteurs) et pouvant poser des questions à un panel équilibré d'experts et de décideurs ;
- à l'issue de ce week-end de délibération, un sondage identique au premier est réalisé, donnant souvent lieu à des changements très significatifs de l'opinion après délibération ; les résultats de ce deuxième sondage peuvent être considérés comme représentatif de l'opinion publique si celle-ci était correctement informée.

La présence d'observateurs et une grande couverture médiatique sont garantes de la transparence de l'événement.

Le soutien de partenaires privés (fondations, voire sponsors) peut-être nécessaire pour couvrir les coûts d'organisation, surtout dans le cas extrêmement lourd de Tomorrow's Europe : transport et hébergement de 362 participants issus des 27 pays de l'UE, traduction simultanée dans 21 des 23 langues officielles.

Des résultats probants

A l'heure actuelle, une quinzaine de sondages délibératifs ont été organisés, dans des contextes extrêmement différents, entre autres :

- aux Etats-Unis, par des autorités locales sur des questions énergétiques ;
- par une autorité locale européenne (région du Latium, sur les questions d'éducation);
- dans le "berceau de la démocratie" (Marousi, banlieue d'Athènes, pour désigner le candidat du PASOK aux municipales) ;
- dans une société très divisée (Omagh, Irlande du Nord) ;
- dans l'un des nouveaux pays de l'UE, ex-pays communiste (Bulgarie, sur la question des Roms) ;
- sous un régime post-totalitaire (municipalité de Zeguo, Chine, sur la définition des priorités en matière d'investissement).

Dans chaque cas, la comparaison des sondages pré et post-délibération a montré des résultats intéressants :

- changements significatifs de l'opinion publique ;
- modifications de l'opinion dans le sens d'un intérêt plus général (à Zeguo par exemple, les projets touchant plus globalement la municipalité ont recueilli plus d'opinions favorables, au détriment de projets ne concernant qu'un village ou un quartier) ;
- un gain significatif de connaissances a été constaté ainsi que, dans le cas de sociétés divisées, une meilleure tolérance mutuelle (à Omagh, opinions plus favorables des protestants envers les catholiques et réciproquement ; en Bulgarie, accroissement des opinions favorables à une plus forte intégration des Roms).

A l'occasion de Tomorrow's Europe, le Premier ministre bulgare Sergei Stanishev a d'ailleurs déclaré vouloir réitérer cette procédure de manière systématique sur les questions d'éducation, de santé publique et de dépenses publiques, ce qui constituerait un pas supplémentaire vers l'institutionnalisation de la méthode. Concernant l'Union européenne, les dirigeants présents ont exprimé tout leur intérêt pour une telle méthode, "un pas extrêmement important pour rendre plus effectif le caractère démocratique de l'UE." (Tommaso Padoa-Schioppa, Ministre italien de l'économie et des finances).

La méthode s'enracine pleinement dans le champ de la démocratie délibérative, puisqu'elle assure à la fois la représentation des citoyens, la qualité de l'argumentation, et l'écoute des décideurs (charge à ces derniers d'intégrer les résultats du sondage à la prise de décision). Son principal défaut réside bien sûr dans son coût, même si Tomorrow's Europe était un événement hors normes dont le budget ne peut pas être pris comme référence.

(A suivre : lien avec la démocratie locale et Vendôme)

vendredi 19 octobre 2007

Commentaires suite au sondage délibératif "Tomorrow's Europe"

(publié sur le site www.tomorrowseurope.eu)

Now that the results have been published, I'd like to share an observation and ask a question.

Whether the results of the poll will be taken in account or not, the value of this event may at least come from its symbolic strength. In France, where deliberative democracy remains curiously rejected, when not unknown, I explained to local representatives what happened in Brussels last week-end, and I could observe their interest for this kind of procedure.

In France, participatory democracy consists in purely consultative institutions, enabling citizens only to talk about minor topics and giving them only partial information. My greatest hope is that the success of procedures such as deliberative polling will show french local representatives that it is possible to give citizens a place in major decision-making processes.


My question concerns a specific part of the poll, which is the enlargement of EU. About this question, I wonder if certain results are really valuable from a deliberative point of view. Debates aboute the global idea of enlargement have been really rich and well-informed, but I don't think it was the case when citizens adressed questions about specific candidate countries. For example, when small group discussions turned to Turkey, I noticed a few prejudices and mistakes about this country and about muslim culture, which weren't corrected during the debate.

That's why my question is : refering to the values of deliberation, was it legitimate to talk about of specific countries in the absence of citizens from these countries ? Can we really deliberate about Turkey or Ukraine joining the EU if we don't hear the arguments of Turkish or Ukrainian citizens ?

Of course, I don't mean that you should have invited them to this week-end, I guess that organizing this event was difficult enough ! I just suggest that the membership of specific countries might better have not been adressed this time. Maybe a topic for a future deliberative polling on Black Sea's shore ?