vendredi 10 octobre 2008

Il y a loin d’Helsingborg à Porto Alegre

Il y a loin d’Helsingborg à Porto Alegre, un cas pratique de démocratie délibérative
Journal of public deliberation, 2008
http://services.bepress.com/cgi/viewcontent.cgi?article=1071&context=jpd


Dans ce texte de 2008, Jakob Svensson analyse le fonctionnement des cinq comités civiques d’Helsingborg (120 000 habitants) au regard de la théorie délibérative. Vue de France, la Suède et plus généralement les pays du Nord de l’Europe apparaissent comme des terres de dialogue et de consensus, des cultures où l’esprit civique serait bien plus développé que dans nos contrées latines, presque des pays délibératifs par atavisme.

Pourtant, la Suède connaît elle aussi un désengagement des citoyens, un désintérêt des affaires publiques caractéristique de la « modernité tardive » dans laquelle est entré l’Occident. Cette tendance au déclin civique serait corrélée à l’atomisation et l’individualisation de nos sociétés. Pourtant, certaines formes de mobilisation connaissent un succès croissant : pétitions, manifestations, constitutions de communautés autour d’une question particulière, etc. Dans ce contexte, la démocratie délibérative pourrait être le moyen de revivifier l’intérêt des citoyens pour des formes politiques plus institutionnelles.

La municipalité d’Helsingborg envisage ainsi la délibération publique comme un moyen de dépasser une participation jusqu’ici envisagée par le citoyen dans un but purement consumériste (obtenir une action des services publics dans son environnement immédiat). Ce que l’auteur nomme « politique de trottoir » ressemble ainsi fortement à notre démocratie « de proximité », où les réunions publiques sont centrées sur des questions d’éclairage public, de déjections canines, etc.

Sur ce point, la ville d’Helsingborg a pris une position que peu de municipalités françaises ont encore adopté : orienter la participation des citoyens sur les sujets d’intérêt général les plus importants, notamment l’aménagement urbain, loin de l’idée reçu selon laquelle « les citoyens ne voient que leur bout de trottoir ».

Le « tournant délibératif » d’Helsingborg se manifeste par un remodelage important de l’organisation municipale : cinq comités civiques sont donc créés (d’une superficie plus vaste que le quartier, rappelons que les municipalités suédoises équivalent à nos intercommunalités) dotés chacun de 14 élus. Parallèlement demeurent 7 commissions thématiques. Dans un souci de transversalité, les comités civiques sont constitués de deux élus membres de chaque commission thématique et, réciproquement, chaque commission thématique comporte deux élus de chaque comité civique. Ainsi, les comités disposent de personnes compétentes dans tous les thèmes de l’action municipale et les commissions thématiques disposent de représentants de chaque secteur géographique. Les comités civiques sont chargés de favoriser la participation du public et d’encourager le dialogue entre citoyens et décideurs. Pour ce faire, des actions très diverses ont été entreprises, au-delà des simples réunions publiques.

En dépassant résolument la notion de proximité, la participation à Helsingborg se rapproche des standards délibératifs mieux que n’y parvient la participation française classique. Cependant, certains défauts empêchent cette politique d’être totalement satisfaisante.

En premier lieu, l’égalité des citoyens à l’intérieur des espaces délibératifs n’est pas acquise : les plus éloquents et les plus familiers du discours publics gardent un avantage certain. En effet, les animateurs des réunions sont des élus ou des fonctionnaires, qui n’ont pas été formés pour cela. Or, la présence de facilitateurs professionnels et indépendants est une clé essentielle de la réussite des expériences délibératives. Autre point concernant les inégalités, la représentativité des participants n’est pas acquise : on retrouve la sous-représentation habituelle des jeunes et des immigrés. Comme en France encore, cette absence de représentativité est un atout stratégique pour les élus : elle permet de disqualifier les oppositions exprimées en réunion (« vous ne représentez que vous-mêmes ») tout en louant la concertation lorsqu’elle aboutit à un consensus.

Surtout, la nature purement consultative des comités civiques pose problème. Les élus d’Helsingborg, comme nombre de leurs homologues dans d’autres pays, se méfient d’une participation qui remettrait en cause leur pouvoir de décision. L’influence réelle de la participation sur la décision a été, comme souvent, totalement éludée. La mise en œuvre des recommandations émises par les comités civiques est rendue difficile pour deux raisons. La première est la configuration du processus décisionnel, qui interpose les commissions thématiques entre les comités civiques et le conseil municipal. La seconde est la délégation au sein des comités civiques d’élus de second rang qui, face aux élus délégués uniquement dans une commission thématique ont rarement la faveur des arbitrages municipaux.

Ainsi, en France comme en Suède, c’est l’articulation entre participation et décision qui semble constituer le point de blocage le plus gênant lorsqu’il s’agit de mettre en œuvre la démocratie délibérative dans un cadre représentatif. Un problème que n’ont pas les régimes autoritaires, souligne ironiquement Jakob Svensson : lorsque le Parti communiste chinois met en œuvre une procédure délibérative, les résultats de la discussion sont mis en œuvre bien plus directement !

Aucun commentaire: