lundi 20 avril 2009

Facebook et la participation : un exemple pour les collectivités ?

On connaissait déjà le potentiel des réseaux sociaux en matière de démocratie participative "informelle". Pourtant, au terme d'un processus de contestation et de débat, Facebook vient d'institutionnaliser l'influence des usagers sur les règles d'utilisation du site. Un exemple pour la "démocratie participative" de nos collectivités locales ?

Malgré tous les espoirs de modernité que l'on place dans le web, cette histoire débute par une décision politique "à l'ancienne" : en mars, Facebook change ses conditions d'utilisation latérale, comme le rappelle ici le blogueur du Monde Francis Pisani. Aussitôt, le ">web 2.0 démontre ses fabuleuses capacités de mobilisation : une fronde se met rapidement en place contre cette décision, de la part notamment de défenseurs des droits (craintes d'un contrôle excessif de Facebook sur les données de ses utilisateurs) et d'artistes soucieux de conserver la maîtrise de leurs créations publiées sur le site.


L'efficacité du site se retourne ainsi contre ses propriétaires, puisque l'ampleur de la contestation contraint rapidement Facebook à reculer, annonçant que les nouvelles conditions d'utilisations seraient soumises à discussions, puis au vote des usagers. Ce vote se déroule cette semaine (pour les utilisateurs de Facebook, voir cette page).

Quel rapport avec la démocratie locale ? Peu jusqu'ici, ou plutôt rien que de très banal : on ne compte plus les décisions unilatérales ou entérinées par de fausses concertations, qui doivent ensuite être retirées sous la pression des opposants. C'est ce que les anglo-saxons appellent "a DEAD process : Decide - Educate - Announce - Defend"... où bien souvent le "défendre" n'est pas tenable lorsque se multiplient pétitions, manifestations, etc

Mais l'innovation vient surtout de la rapidité avec laquelle Facebook s'est converti à la "démocratie participative", jusqu'à donner un sens nouveau et renforcé au droit de pétition. En témoigne ainsi la section de la charte d'utilisation relative aux amendements :

"12.1 Nous pouvons changer cette Déclaration tant que nous vous avertissons via Facebook (...) et vous donnons la possibilité de commenter.
12.2 Pour les changements (...) nous vous donnerons un préavis de sept jours au minimum.
12.3 Si plus de 7000 utilisateurs commentent le changement proposé, nous vous donnerons également l'occasion de participer à un vote dans le cadre duquel d'autres alternatives vous seront proposées. Nous devrons respecter le résultat du vote si plus de 30 % de tous les utilisateurs inscrits actifs à la date du préavis participent au vote.
12.4 Nous pouvons effectuer des modifications pour des raisons légales ou administratives après préavis mais sans occasion de commenter.
"

Par ce texte, Facebook montre en quoi une participation institutionnalisée peut se montrer assez performante en termes de démocratie :

- la participation et le lien entre participation et décision sont l'objet d'une règle de droit, donc contraigante pour l'autorité et que l'usager peut invoquer devant une juridiction ;

- les règles sont également tournées de sorte à ce qu'une information suffisante soit donnée ; le "suffisant" étant défini en termes de délais chiffrés ;

- le lien entre participation et décision est clairement exprimé (avec un niveau de contrainte dont chacun jugera de la légitimité : cela revient à avoir un vote pour chaque décision - il suffit de 7000 commentaires, mais un vote qui ne sera quasiment jamais contraignant pour Facebook - il faudrait plus de 60 millions de votants sur 200 millions d'utilisateurs).

- la participation ne peut pas conduire à des décisions enfreignant des lois supérieures, grâce à l'article 12.4 (gardé volontairement imprécis pour se ménager une porte de sortie ?)

Le tournant de la participation : l'intégration au droit

Si l'on applique cette politique de participation aux collectivités locales, le principal progrès réside dans l'intégration de la participation à une règle de droit, qui définit clairement les règles du jeu en matière d'information et d'influence sur la décision. Ainsi, si des méthodes participatives performantes sont parfois employées, le choix même de recourir à de telles méthodes est trop souvent le fait du prince : si la participation ne fait pas l'objet d'un texte adopté en assemblée délibérante, rien n'empêche une autorité territoriale de prendre telle décision de manière participative et telle autre de manière unilatérale. Certes, nombre de conseils municipaux ont voté des chartes de la participation, mais combien sont réellement contraignantes pour le pouvoir en place ? Une participation réellement démocratique supposerait ainsi qu'un citoyen puisse attaquer une décision devant le tribunal administratif pour défaut de concertation : à ma connaissance cela est impossible au niveau local, et exceptionnel au niveau national (un exemple ici)

Le lien entre vote et décision paraît plus risqué : si des représentants sont élus, c'est bien pour prendre la responsabilité des décisions, dussent-elles être impopulaires. En revanche, si l'on considère plutôt les seuils définis par Facebook, l'option choisie est plus intéressante puisqu'elle donne moins d'importance au résultat du vote (le seuil définissant le vote contraignant ne sera quasiment jamais atteint) qu'au fait qu'un vote doive obligatoirement se dérouler (le seuil est si faible qu'un vote aura lieu à chaque fois). Or, qui dit vote démocratique dit forcément débat public : sur un réseau social comme Facebook, le débat peut naître et se développer si facilement qu'il est inutile de le régir (que ce soit pour le développer aussi bien que pour l'encadrer). En revanche, dans une institution politique du type de nos collectivités locale, définir les règles du jeu en matière de débat public est essentiel, faute de quoi le caractère démocratique de la consultation est sérieusement remis en question (voir le cas des nombreux référendums locaux accusés de manipulation, soit par le pouvoir soit par les opposants).

On peut louer la réactivité de Facebook, due aux spécificités de l'outil mais aussi au fait que la viabilité économique du site dépende fortement de la relation entre les gestionnaire et les usagers-participants (un autre exemple ici). Le débat sur les conditions d'utilisation a permis de vivre en accéléré la manière dont la participation influe non seulement sur la décision remise en cause, mais aussi sur l'ensemble du processus décisionnel. Une fois cette règle adoptée, Facebook pourra difficilement revenir en arrière, quelle que soit la modification que les propriétaires du site souhaiteront apporter par la suite. Quelle autorité territoriale aurait le courage de se contraindre ainsi durablement, avec la part d'inconnu que cette décision comporte ? Il semble pourtant que cette étape reste à franchir, pour qu'une collectivité locale puisse réellement se réclamer d'une démocratie locale participative.


Version originale de l'article : http://www.mediapart.fr/club/edition/collectivites-locales-seulement-une-question-d-institutions/article/180409/facebook-et-