lundi 6 août 2007

Activists' views of deliberation

Peter Levine, Rose Marie Nierras
Article original : http://services.bepress.com/jpd/vol3/iss1/art4/

A l'aide d'entretiens collectifs avec plusieurs militants, familiers ou non des procédures délibératives, les auteurs examinent les rapports entretenus par les activistes vis-à-vis de la démocratie délibérative. Les militants rencontrés se caractérisent par des préoccupations démocratiques et sociales marquées, tandis que la délibération recueille de leur part une attention bien moins soutenue.

La principale distinction entre les militants et les organisateurs de forums délibératifs est leur rapport au pouvoir. Ainsi, les militants visent à acquérir un pouvoir en vue de remplir des objectifs politiques ou sociaux bien définis. En revanche, les organisateurs d'événements délibératifs promeuvent une discussion la plus ouverte possible, visant à ce que les participants définissent eux-mêmes leurs buts collectifs.

Les critiques formulées au cours des entretiens dépendent en partie de la provenance des militants, issus de pays pauvres ou développés et où les expériences délibératives sont très variablement enracinées. Par la suite, ces activistes ont débattu avec des organisateurs de forums délibératifs.

Les critiques initiales

Accorder une légitimité démocratique à une discussion dont l'issue est imprévisible a priori peut être ressenti par certains militants comme une menace contre leurs valeurs (égalité sociale, libertés individuelles, protection de l'environnement,…). La délibération n'est alors acceptée que si elle permet d'exposer "les bonnes informations" pour parvenir "aux bonnes décisions" : sa valeur est stratégique, non intrinsèque.

Des activistes ressentent également l'appel à des "citoyens ordinaires" comme une exclusion, d'autant plus injuste selon eux qu'ils ont consacré du temps et de l'énergie à acquérir une connaissance du sujet traité.

Un problème se pose également lorsque les militants ne reconnaissent pas d'appartenance à la communauté au sein de laquelle se déroule la délibération. Participer à la délibération signifie revêtir une identité collective particulière, ce qui peut être inacceptable lorsque cette identité est justement au cœur du problème : c'est ainsi le cas des mouvements d'autodétermination ou indépendantistes.

Par ailleurs, les mouvements minoritaires tendront à préférer les méthodes d'expression protestataires à la délibération, ces outils (manifestations, boycotts,…) étant plus efficaces pour faire entendre leur voix. D'ailleurs, la délibération est-elle justifiée lorsque le sujet connaît une polarisation extrême ? Comment ainsi demander à un abolitionniste d'écouter les arguments de partisans de l'esclavage ?
Nombreux sont les doutes concernant la capacité de la délibération à transformer les participants. D'une part le faible nombre de représentants concernés empêche l'acquisition de savoirs nouveaux par une communauté entière, d'autre part il est fort probable que ces représentants se coupent de leur communauté en adoptant un point de vue plus consensuel.

Enfin, certains rejettent la délibération au nom d'une conception de la politique excluant le consensus. Pour eux, la politique est ne peut être que le théâtre de la lutte entre des intérêts concurrents. Par ailleurs, les bienfaits de la délibération sont illusoires sans transformation significative des médias de masse.


La délibération : un outil parmi d'autres

La délibération est aussi utile à la vie démocratique que les mouvements sociaux : en redistribuant le pouvoir à ceux qui en sont traditionnellement dépossédés, ces derniers garantissent l'équité et l'efficacité de la délibération.

On comprend également que les militants ne puissent pas envisager leur action de manière exclusivement délibérative, dans la mesure où ils sont avant tout représentants et défenseurs d'intérêts, et à ce titre responsables devant les membres de leurs organisations.

L'expérience montre également qu'en de certaines occasions les stratégies de confrontation ne sont pas dénuées de bienfaits, et peuvent mieux que la délibération contribuer aux progrès de la démocratie.

Délibération et apprentissage

La délibération n'est pas qu'un moyen stratégique d'exprimer ses opinions et de convaincre autrui. Ses apports en matière d'apprentissage sont également très intéressants, y compris pour les militants. Certes, la délibération est illusoire tant que le pouvoir n'est pas disposé à écouter. Pour autant, il n'est pas pertinent d'abandonner toute exigence d'argumentation au motif que l'ordre établi reste imparfait : cela résumerait alors l'activisme à la simple quête de pouvoir, ouvrant ainsi la voie au cynisme et à la corruption. Archon Fung promeut ainsi un activisme auto-encadré par des normes délibératives, dont les militants ne sortiraient que si leurs interlocuteurs font preuve de mauvaise foi manifeste.

Délibération et participation

L'exigence de rationalité et d'absence de passion qu'implique la délibération peut favoriser une certaine catégorie de citoyens. Dans la pratique, il s'agit surtout d'amener des personnes différentes à débattre ensemble : l'émotion n'est alors pas niée, mais représente au contraire un atout dès lors que le respect mutuel est assuré. L'engagement des participants peut alors s'exprimer par des récits de vie voire sous des formes artistiques.

En fait, si la littérature laisse apparaître une certaine rigidité de la procédure délibérative, sur le terrain militants et organisateurs de délibérations peuvent trouver un terrain d'entente relativement aisément.