Six ans après l’adoption de la loi sur la démocratie de proximité, les conseils de quartiers, ne semblent pas passer de mode dans les communes françaises. La campagne électorale a vu un certain nombre de candidats proposer la création de ces instances de « démocratie participative » dans les collectivités qui en étaient encore dépourvues. Mais si les premiers mois de mandat municipal voient çà et là éclore de nouveaux conseils de quartiers, la désillusion risque à terme d’être profonde, autant chez les élu que chez les citoyens : dans les faits, ces outils sont rarement les plus pertinents pour mener à bien une politique de participation des citoyens.
Trop souvent, la mise en place de conseils de quartiers relève d’une confusion entre le but (développer la participation des citoyens) et le moyen. Trop d’élus envisagent la mise en place de conseils de quartiers comme une fin en soi, sans mener une réflexion approfondie sur le potentiel et les limites de ce type d’instances. Pourtant, mettre en place une politique participative n’est pas anodin : cela commande d’agir dans plusieurs dimensions, y compris sur des terrains où le pouvoir est réticent à s’engager. Si la participation peut répondre à des attentes du pouvoir (animation des quartiers, lien social, relais d’information et de mobilisation, expertise d’usage des habitants), elle s’accompagne inévitablement d’autres besoins (expression de doléances, débat public sur des sujets d’intérêt général, sur des problématiques conflictuelles, débat sur les formes mêmes de participation).
Ces attentes appellent des réponses diversifiées : développer des projets d’animation de quartier nécessite un fonctionnement de type plutôt associatif autour d’un projet partagé, tandis que les concertations sur des sujets d’intérêt général demandent l’expression des opinions les plus diverses. Dès lors, appliquer une politique participative au travers d’un seul outil n’est guère efficace : à devoir servir à tout, les conseils de quartiers finissent par ne plus servir à grand-chose.
Des lieux pour développer le lien social ?
Dans des secteurs où la vie associative est particulièrement pauvre, un conseil de quartier peut contribuer à revitaliser le tissu social. Il s’agira ici plus d’un outil de développement social que de démocratie participative proprement dite. En revanche, lorsque la vie associative du quartier est déjà dense, des associations pourront vivre l’arrivée du conseil de quartier comme une mise en concurrence. D’autres investiront le conseil pour renforcer leur influence auprès du pouvoir, au détriment de structures moins puissantes.
De plus, un tel objectif n’est pas dépourvu de paternalisme : de l’argent public et des fonctionnaires sont mobilisés pour soutenir (et inévitablement pour contrôler) des événements que les habitants savaient autrefois organiser seuls (fêtes ou pique-niques de quartier). Le lien de dépendance qui s’instaure est d’autant moins sain que les conseils de quartier disposent parfois de budgets conséquents : l’écueil du clientélisme est parfois bien réel.
Des lieux d’expertise d’usage ?
Parmi les nombreux poncifs liés à la participation des citoyens, les habitants « seraient les meilleurs connaisseurs de leur quotidien ». Au sein des conseils de quartiers, les citoyens sont donc appelés à aider la municipalité à mettre en application le programme pour laquelle elle a été élue. Outre le fait qu’une telle demande impose à tous les participants de partager le projet de la majorité municipale, elle ne conduit pas forcément à de meilleures solutions techniques. Le simple fait d’habiter le quartier n’a jamais empêché quiconque de proférer des imbécillités.
Ce qui fait la différence ne tient pas à la qualité d’habitant, mais bien d’une part au niveau d’information et de réflexion des citoyens, d’autre part à la capacité d’écoute et de dialogue des fonctionnaires. Mettre en place des conseils de quartiers sans agir dans ces deux domaines ne peut pas produire des résultats satisfaisants.
Des lieux de débat démocratique ?
Le mot « consultatif » est sans doute le plus répandu dans les chartes des conseils de quartier français. La participation ne devrait pas permettre de remettre en question les orientations de la municipalité, puisque celles-ci sont légitimées par le suffrage universel. Fausse d’un point de vue théorique, cette assertion est aussi irréaliste : lorsque l’on donne la parole aux citoyens, ils l’utilisent comme bon leur semble. Si les oppositions ne peuvent s’exprimer en conseil de quartier, elles ne cesseront pas pour autant d’exister et trouveront toujours à s’exprimer ailleurs (presse, manifestations, création d’associations concurrentes, etc.).
Sur les sujets conflictuels (équipements polluants, accueil de populations défavorisées, etc.), il est dans l’intérêt stratégique d’une municipalité d’encourager un débat le plus ouvert, équilibré et argumenté possible. Si les espaces participatifs ne le permettent pas, ce débat aura de toute façon lieu dans la sphère publique, et ce de façon préjudiciable au pouvoir en place (opinions partiales et peu informées, polarisation du conflit, décrédibilisation des instances participatives municipales).
Or, un débat de qualité, au regard de la norme délibérative, est mené selon des modalités propres au sujet traité. Il faut que le temps du débat soit adapté au calendrier du projet (débattre du problème et non d’une solution déjà choisie). Il faut que le territoire de la participation corresponde à celui de la décision. Il faut que chaque acteur du problème puisse équitablement s’exprimer. Il faut que les citoyens non impliqués aient une occasion équitable de s’informer et de se forger une opinion.
En somme, l’espace participatif doit associer transparence de l’information, expression équitable des différents acteurs concernés, accès équitable des citoyens au débat et qualité argumentative des discussions. La « communauté débattante » doit ainsi se recomposer en fonction de chaque sujet traité, ce qui s’accommode mal du caractère figé des instances participatives permanentes.
Ordinairement, les problèmes constatés vis-à-vis des conseils de quartier sont considérés comme des défauts améliorables dans le temps. Le manque de représentativité, de lien avec la sphère publique, de qualité argumentative, d’influence sur les décisions, etc. pourraient ainsi être résolus par un effort de pédagogie et de communication. A force d’observation, on serait pourtant en droit de se demander si ces faiblesses ne tiennent pas à la nature même de ces instances. Le manque de réflexion sur cette question est d’autant plus regrettable qu’à l’étranger, des expériences autrement plus ambitieuses montrent tous les bienfaits d’une politique participative de qualité.
(original : http://www.mediapart.fr/club/blog/shen-faye-romain-lacuisse/171008/pour-en-finir-avec-les-conseils-de-quartier)
vendredi 17 octobre 2008
vendredi 10 octobre 2008
Il y a loin d’Helsingborg à Porto Alegre
Il y a loin d’Helsingborg à Porto Alegre, un cas pratique de démocratie délibérative
Journal of public deliberation, 2008
http://services.bepress.com/cgi/viewcontent.cgi?article=1071&context=jpd
Dans ce texte de 2008, Jakob Svensson analyse le fonctionnement des cinq comités civiques d’Helsingborg (120 000 habitants) au regard de la théorie délibérative. Vue de France, la Suède et plus généralement les pays du Nord de l’Europe apparaissent comme des terres de dialogue et de consensus, des cultures où l’esprit civique serait bien plus développé que dans nos contrées latines, presque des pays délibératifs par atavisme.
Pourtant, la Suède connaît elle aussi un désengagement des citoyens, un désintérêt des affaires publiques caractéristique de la « modernité tardive » dans laquelle est entré l’Occident. Cette tendance au déclin civique serait corrélée à l’atomisation et l’individualisation de nos sociétés. Pourtant, certaines formes de mobilisation connaissent un succès croissant : pétitions, manifestations, constitutions de communautés autour d’une question particulière, etc. Dans ce contexte, la démocratie délibérative pourrait être le moyen de revivifier l’intérêt des citoyens pour des formes politiques plus institutionnelles.
La municipalité d’Helsingborg envisage ainsi la délibération publique comme un moyen de dépasser une participation jusqu’ici envisagée par le citoyen dans un but purement consumériste (obtenir une action des services publics dans son environnement immédiat). Ce que l’auteur nomme « politique de trottoir » ressemble ainsi fortement à notre démocratie « de proximité », où les réunions publiques sont centrées sur des questions d’éclairage public, de déjections canines, etc.
Sur ce point, la ville d’Helsingborg a pris une position que peu de municipalités françaises ont encore adopté : orienter la participation des citoyens sur les sujets d’intérêt général les plus importants, notamment l’aménagement urbain, loin de l’idée reçu selon laquelle « les citoyens ne voient que leur bout de trottoir ».
Le « tournant délibératif » d’Helsingborg se manifeste par un remodelage important de l’organisation municipale : cinq comités civiques sont donc créés (d’une superficie plus vaste que le quartier, rappelons que les municipalités suédoises équivalent à nos intercommunalités) dotés chacun de 14 élus. Parallèlement demeurent 7 commissions thématiques. Dans un souci de transversalité, les comités civiques sont constitués de deux élus membres de chaque commission thématique et, réciproquement, chaque commission thématique comporte deux élus de chaque comité civique. Ainsi, les comités disposent de personnes compétentes dans tous les thèmes de l’action municipale et les commissions thématiques disposent de représentants de chaque secteur géographique. Les comités civiques sont chargés de favoriser la participation du public et d’encourager le dialogue entre citoyens et décideurs. Pour ce faire, des actions très diverses ont été entreprises, au-delà des simples réunions publiques.
En dépassant résolument la notion de proximité, la participation à Helsingborg se rapproche des standards délibératifs mieux que n’y parvient la participation française classique. Cependant, certains défauts empêchent cette politique d’être totalement satisfaisante.
En premier lieu, l’égalité des citoyens à l’intérieur des espaces délibératifs n’est pas acquise : les plus éloquents et les plus familiers du discours publics gardent un avantage certain. En effet, les animateurs des réunions sont des élus ou des fonctionnaires, qui n’ont pas été formés pour cela. Or, la présence de facilitateurs professionnels et indépendants est une clé essentielle de la réussite des expériences délibératives. Autre point concernant les inégalités, la représentativité des participants n’est pas acquise : on retrouve la sous-représentation habituelle des jeunes et des immigrés. Comme en France encore, cette absence de représentativité est un atout stratégique pour les élus : elle permet de disqualifier les oppositions exprimées en réunion (« vous ne représentez que vous-mêmes ») tout en louant la concertation lorsqu’elle aboutit à un consensus.
Surtout, la nature purement consultative des comités civiques pose problème. Les élus d’Helsingborg, comme nombre de leurs homologues dans d’autres pays, se méfient d’une participation qui remettrait en cause leur pouvoir de décision. L’influence réelle de la participation sur la décision a été, comme souvent, totalement éludée. La mise en œuvre des recommandations émises par les comités civiques est rendue difficile pour deux raisons. La première est la configuration du processus décisionnel, qui interpose les commissions thématiques entre les comités civiques et le conseil municipal. La seconde est la délégation au sein des comités civiques d’élus de second rang qui, face aux élus délégués uniquement dans une commission thématique ont rarement la faveur des arbitrages municipaux.
Ainsi, en France comme en Suède, c’est l’articulation entre participation et décision qui semble constituer le point de blocage le plus gênant lorsqu’il s’agit de mettre en œuvre la démocratie délibérative dans un cadre représentatif. Un problème que n’ont pas les régimes autoritaires, souligne ironiquement Jakob Svensson : lorsque le Parti communiste chinois met en œuvre une procédure délibérative, les résultats de la discussion sont mis en œuvre bien plus directement !
Journal of public deliberation, 2008
http://services.bepress.com/cgi/viewcontent.cgi?article=1071&context=jpd
Dans ce texte de 2008, Jakob Svensson analyse le fonctionnement des cinq comités civiques d’Helsingborg (120 000 habitants) au regard de la théorie délibérative. Vue de France, la Suède et plus généralement les pays du Nord de l’Europe apparaissent comme des terres de dialogue et de consensus, des cultures où l’esprit civique serait bien plus développé que dans nos contrées latines, presque des pays délibératifs par atavisme.
Pourtant, la Suède connaît elle aussi un désengagement des citoyens, un désintérêt des affaires publiques caractéristique de la « modernité tardive » dans laquelle est entré l’Occident. Cette tendance au déclin civique serait corrélée à l’atomisation et l’individualisation de nos sociétés. Pourtant, certaines formes de mobilisation connaissent un succès croissant : pétitions, manifestations, constitutions de communautés autour d’une question particulière, etc. Dans ce contexte, la démocratie délibérative pourrait être le moyen de revivifier l’intérêt des citoyens pour des formes politiques plus institutionnelles.
La municipalité d’Helsingborg envisage ainsi la délibération publique comme un moyen de dépasser une participation jusqu’ici envisagée par le citoyen dans un but purement consumériste (obtenir une action des services publics dans son environnement immédiat). Ce que l’auteur nomme « politique de trottoir » ressemble ainsi fortement à notre démocratie « de proximité », où les réunions publiques sont centrées sur des questions d’éclairage public, de déjections canines, etc.
Sur ce point, la ville d’Helsingborg a pris une position que peu de municipalités françaises ont encore adopté : orienter la participation des citoyens sur les sujets d’intérêt général les plus importants, notamment l’aménagement urbain, loin de l’idée reçu selon laquelle « les citoyens ne voient que leur bout de trottoir ».
Le « tournant délibératif » d’Helsingborg se manifeste par un remodelage important de l’organisation municipale : cinq comités civiques sont donc créés (d’une superficie plus vaste que le quartier, rappelons que les municipalités suédoises équivalent à nos intercommunalités) dotés chacun de 14 élus. Parallèlement demeurent 7 commissions thématiques. Dans un souci de transversalité, les comités civiques sont constitués de deux élus membres de chaque commission thématique et, réciproquement, chaque commission thématique comporte deux élus de chaque comité civique. Ainsi, les comités disposent de personnes compétentes dans tous les thèmes de l’action municipale et les commissions thématiques disposent de représentants de chaque secteur géographique. Les comités civiques sont chargés de favoriser la participation du public et d’encourager le dialogue entre citoyens et décideurs. Pour ce faire, des actions très diverses ont été entreprises, au-delà des simples réunions publiques.
En dépassant résolument la notion de proximité, la participation à Helsingborg se rapproche des standards délibératifs mieux que n’y parvient la participation française classique. Cependant, certains défauts empêchent cette politique d’être totalement satisfaisante.
En premier lieu, l’égalité des citoyens à l’intérieur des espaces délibératifs n’est pas acquise : les plus éloquents et les plus familiers du discours publics gardent un avantage certain. En effet, les animateurs des réunions sont des élus ou des fonctionnaires, qui n’ont pas été formés pour cela. Or, la présence de facilitateurs professionnels et indépendants est une clé essentielle de la réussite des expériences délibératives. Autre point concernant les inégalités, la représentativité des participants n’est pas acquise : on retrouve la sous-représentation habituelle des jeunes et des immigrés. Comme en France encore, cette absence de représentativité est un atout stratégique pour les élus : elle permet de disqualifier les oppositions exprimées en réunion (« vous ne représentez que vous-mêmes ») tout en louant la concertation lorsqu’elle aboutit à un consensus.
Surtout, la nature purement consultative des comités civiques pose problème. Les élus d’Helsingborg, comme nombre de leurs homologues dans d’autres pays, se méfient d’une participation qui remettrait en cause leur pouvoir de décision. L’influence réelle de la participation sur la décision a été, comme souvent, totalement éludée. La mise en œuvre des recommandations émises par les comités civiques est rendue difficile pour deux raisons. La première est la configuration du processus décisionnel, qui interpose les commissions thématiques entre les comités civiques et le conseil municipal. La seconde est la délégation au sein des comités civiques d’élus de second rang qui, face aux élus délégués uniquement dans une commission thématique ont rarement la faveur des arbitrages municipaux.
Ainsi, en France comme en Suède, c’est l’articulation entre participation et décision qui semble constituer le point de blocage le plus gênant lorsqu’il s’agit de mettre en œuvre la démocratie délibérative dans un cadre représentatif. Un problème que n’ont pas les régimes autoritaires, souligne ironiquement Jakob Svensson : lorsque le Parti communiste chinois met en œuvre une procédure délibérative, les résultats de la discussion sont mis en œuvre bien plus directement !
vendredi 23 mai 2008
Rapport : un engagement d'élus, une compétence administrative
Le document ci-dessous tente de définir les contours d’une participation résolument orientée vers une démocratisation du système politique local. Il prend la forme du projet que doit rédiger tout attaché territorial dans l’année de sa nomination, auquel s’ajoute une annexe plus théorique présentant des pistes de justifications théoriques pour les propositions effectuées dans ce projet.
Du constat des dysfonctionnements de la démarche participative vendômoise s’est développée la réflexion sur les fragiles soubassements de la « démocratie participative » française. De là s’est posée la nécessité de cette annexe plus théorique, visant à se réinterroger sur ce qui fonde une démocratie à l’échelon territorial. Le recours aux théories et méthodes délibératives est évoqué, en complément à la fois au système représentatif et aux scènes plus conflictuelles où se jouent ordinairement les rapports entre société civile et pouvoir.
Sur cette base, le rapport proprement dit propose l’institution d’une charte dans laquelle l’autorité politique s’engagerait à respecter les principes de la délibération publique dans ses processus décisionnels. Les méthodes proposées pour cela s’inspirent à la fois des procédures de la commission nationale du débat public, des différents « mini-publics » réunissant un échantillon de citoyens souvent sélectionnés par tirage au sort (avec un accent sur l’un des plus ambitieux, le sondage délibératif), ainsi que des « artisans de la participation », acteurs capables de mobiliser les citoyens les plus éloignés de la parole publique. L’articulation de ces objectifs et de ces méthodes esquisse un cadre d’action pour les personnes chargées d’organiser et d’animer les espaces délibératifs, que ceux-ci soient permanents ou liés à une problématique particulière. Ce cadre ce caractérise par des garanties d’indépendance et de neutralité, une adaptation constante au contexte local ainsi que par la recherche d’une certaine collégialité dans l’exercice de ces fonctions.
Du constat des dysfonctionnements de la démarche participative vendômoise s’est développée la réflexion sur les fragiles soubassements de la « démocratie participative » française. De là s’est posée la nécessité de cette annexe plus théorique, visant à se réinterroger sur ce qui fonde une démocratie à l’échelon territorial. Le recours aux théories et méthodes délibératives est évoqué, en complément à la fois au système représentatif et aux scènes plus conflictuelles où se jouent ordinairement les rapports entre société civile et pouvoir.
Sur cette base, le rapport proprement dit propose l’institution d’une charte dans laquelle l’autorité politique s’engagerait à respecter les principes de la délibération publique dans ses processus décisionnels. Les méthodes proposées pour cela s’inspirent à la fois des procédures de la commission nationale du débat public, des différents « mini-publics » réunissant un échantillon de citoyens souvent sélectionnés par tirage au sort (avec un accent sur l’un des plus ambitieux, le sondage délibératif), ainsi que des « artisans de la participation », acteurs capables de mobiliser les citoyens les plus éloignés de la parole publique. L’articulation de ces objectifs et de ces méthodes esquisse un cadre d’action pour les personnes chargées d’organiser et d’animer les espaces délibératifs, que ceux-ci soient permanents ou liés à une problématique particulière. Ce cadre ce caractérise par des garanties d’indépendance et de neutralité, une adaptation constante au contexte local ainsi que par la recherche d’une certaine collégialité dans l’exercice de ces fonctions.
mercredi 21 mai 2008
Participation et démocratie locale : des contradictions à dépasser, des garanties à établir
Publié le 11 mai 2008 sur Mediapart (http://www.mediapart.fr/club/edition/changer-de-republique/article/110508/participation-et-democratie-locale%C2%A0-des-contradict)
A l’occasion des dernières élections municipales, nombre de candidats ont inclus à leurs thèmes de campagne une participation renforcée des citoyens à la démocratie locale. Sous des vocables différents, la volonté de compléter la représentation par une implication accrue des habitants à la vie publique demeure vivace.
Aujourd’hui, les formes de participation locale demeurent variées dans leurs moyens comme dans leurs objectifs. Ce foisonnement est aussi une source de fragilité ; l’absence de normes procédurales reconnues contribue à l’imprécision des buts et méthodes de la participation, sapant peu à peu la confiance des citoyens. Alors que s’annonce une nouvelle vague de création d’instances participatives locales par les nouveaux élus, des interrogations préalables sur des notions telles que la légitimité, la décision ou le contre-pouvoir sont indispensables, sans quoi ces dispositifs resteront pénalisés par leurs « impensés ».
Pourquoi est-il bon de faire participer les citoyens ?
Sensibles à la « démocratie participative », nous pouvons être tentés de penser que la participation des citoyens est intrinsèquement une bonne chose. Pourtant, elle peut regrouper plusieurs objectifs qui, si l’on n’y prend garde, risquent de s’entraver mutuellement. On peut premièrement compter sur l’expertise d’usage de la population pour aider l’administration à rendre un service plus efficace et plus adapté aux usagers : selon l’expression consacrée, « l’habitant est le meilleur expert de son quotidien ». Il est possible ensuite d’assigner à la participation une mission de cohésion sociale : en participant, les habitants renforcent leur sentiment d’appartenance collective, le respect mutuel, la volonté d’agir ensemble, autant de composantes d’une citoyenneté accomplie.
Cependant, si ces deux dimensions s’hypertrophient, elles nuiront à un troisième objectif : le renforcement du caractère démocratique du système politique local. En effet, expertise d’usage et cohésion sociale s’incarnent dans des dispositifs de proximité, dont les conseils de quartiers sont la meilleure illustration. Or, malgré la loi de 2002, la proximité n’est pas l’échelle la plus pertinente pour la démocratisation ; elle aboutit à consulter ou à faire décider des citoyens sur des sujets mineurs, tandis que les décisions fondamentales d’une commune leur échappent. Par exemple, les schémas de cohérence territoriale, dont les enjeux portent sur vingt ans, sont établis par des délégués d’intercommunalités, soit des « représentants de représentants de représentants du peuple ». La légitimité issue du suffrage universel est ici pour le moins atténuée ; les efforts de participation peuvent-ils omettre de tels sujets ?
On peut aussi se demander s’il est réellement souhaitable qu’une collectivité se donne pour but le renforcement de la citoyenneté. La question paraît provocante, mais si la citoyenneté est évidemment un enjeu important, certaines actions de démocratisation n’en demeurent pas moins exclusivement ascendantes. Ainsi, la mobilisation des citoyens n’a pas du tout la même valeur selon qu’elle soit spontanée ou suscitée par le pouvoir. Le conflit est une étape essentielle dans la construction de la conscience civique : c’est par la défense des droits et intérêts d’un groupe de citoyens que l’apprentissage de l’action collective est le plus intense. Or, lorsque le pouvoir politique initie la participation à des fins de cohésion sociale, son message est paradoxal dans le meilleur des cas (« écoutez l’institution : soyez autonome »), paternaliste dans le pire (« écoutez l’institution : participez à l’animation de vos quartiers »).
Cette position peut aboutir à des résultats lorsque la collaboration s’installe, mais perd toute sa pertinence dès qu’une contradiction s’exprime. Quand un citoyen ou une association ne s’inscrit pas dans un rapport de coopération, cela est le plus souvent assimilé à un repli sur des intérêts particuliers ou à un manque de pédagogie. Puisque le bon citoyen est celui qui participe à la vie publique, celui qui refuse l’offre institutionnelle de participation est discrédité, quand bien même le motif de ce refus serait tout à fait respectable (le premier de tous étant l’absence de motivation à prendre sur son temps personnel pour discuter de sujets mineurs). A l’inverse, il devient difficile pour cette offre de susciter confiance et mobilisation.
Quel place du pouvoir politique dans la décision et la délibération ?
La participation envisagée dans un sens démocratique suppose donc de la part des élus à la fois de l’humilité et de l’ambition. L’humilité revient à accepter le fait que le pouvoir ne doive pas chercher la maîtrise d’éléments de démocratisation propres à la société civile. Elle se traduit aussi par la reconnaissance du caractère légitime et rationnel d’opinions divergentes. L’ambition réside dans la conciliation de ce respect avec la recherche d’un débat de qualité où les citoyens bénéficient d’une écoute équitable.
Cet objectif passe par un certain nombre de garanties procédurales. Celles-ci pourraient être recherchées parmi les principes guidant l’action de la Commission nationale du débat public (CNDP). Premièrement, il s’agit de garantir l’équivalence des participants : chacun, quel que soit son statut, bénéficie des mêmes moyens d’expression. Deuxièmement, la transparence et l’accessibilité de l’information sont totales. Troisièmement, une exigence d’argumentation est fixée, s’inspirant de la théorie de la démocratie délibérative : chaque opinion doit être justifiée et tenir compte des autres arguments exprimés. Enfin, il est souhaitable que les décideurs s’engagent à tenir compte de l’ensemble des positions exprimées ; il ne s’agit pas ici de reprendre forcément l’opinion majoritaire, mais plutôt de justifier la prise en compte ou le rejet des arguments exprimés au cours du débat. Un certain nombre de méthodes délibératives ont été créées, notamment dans le monde anglo-saxon, pour permettre la mise en œuvre de ces principes d’une manière adaptée à l’ampleur et la complexité de chaque sujet traité (panels de citoyens, sondage délibératif, etc.).
Autorité indépendante, la CNDP peut également représenter une source d’inspiration pour son statut de « tiers garant ». Séparer l’animateur du débat et le décideur améliore la confiance des participants dans l’équité des discussions. Il existera beaucoup moins de soupçons de manipulation du débat si l’animateur prouve son indépendance vis-à-vis du décideur. De ces règles du jeu claires, solides et garanties par un tiers, il sera possible en retour d’espérer un processus décisionnel plus juste et serein, une meilleure lisibilité et une plus grande légitimité de la décision publique. Un tel organisme autonome, assimilable à une « commission locale du débat public », se rencontre par exemple à la ville de Montréal.
Si cette forme de participation peut paraître trop institutionnelle, elle semble correspondre à ce que peut réaliser une institution politique en matière de participation démocratique. Dans ce domaine, le passage du militantisme à l’autorité politique amène un changement des modes d’action ; ce qui est pertinent de la part d’un parti ou d’une association peut ne plus l’être de la part d’une institution. L’enjeu pour les nouveaux élus locaux est de rester à l’écoute des formes d’expression développées par la société civile, sans céder à la tentation de s’y substituer. La garantie d’un cadre de discussion publique net, solide et juste représente dès lors la principale contribution du pouvoir à un progrès démocratique dont il ne pourra jamais être le dépositaire exclusif.
A l’occasion des dernières élections municipales, nombre de candidats ont inclus à leurs thèmes de campagne une participation renforcée des citoyens à la démocratie locale. Sous des vocables différents, la volonté de compléter la représentation par une implication accrue des habitants à la vie publique demeure vivace.
Aujourd’hui, les formes de participation locale demeurent variées dans leurs moyens comme dans leurs objectifs. Ce foisonnement est aussi une source de fragilité ; l’absence de normes procédurales reconnues contribue à l’imprécision des buts et méthodes de la participation, sapant peu à peu la confiance des citoyens. Alors que s’annonce une nouvelle vague de création d’instances participatives locales par les nouveaux élus, des interrogations préalables sur des notions telles que la légitimité, la décision ou le contre-pouvoir sont indispensables, sans quoi ces dispositifs resteront pénalisés par leurs « impensés ».
Pourquoi est-il bon de faire participer les citoyens ?
Sensibles à la « démocratie participative », nous pouvons être tentés de penser que la participation des citoyens est intrinsèquement une bonne chose. Pourtant, elle peut regrouper plusieurs objectifs qui, si l’on n’y prend garde, risquent de s’entraver mutuellement. On peut premièrement compter sur l’expertise d’usage de la population pour aider l’administration à rendre un service plus efficace et plus adapté aux usagers : selon l’expression consacrée, « l’habitant est le meilleur expert de son quotidien ». Il est possible ensuite d’assigner à la participation une mission de cohésion sociale : en participant, les habitants renforcent leur sentiment d’appartenance collective, le respect mutuel, la volonté d’agir ensemble, autant de composantes d’une citoyenneté accomplie.
Cependant, si ces deux dimensions s’hypertrophient, elles nuiront à un troisième objectif : le renforcement du caractère démocratique du système politique local. En effet, expertise d’usage et cohésion sociale s’incarnent dans des dispositifs de proximité, dont les conseils de quartiers sont la meilleure illustration. Or, malgré la loi de 2002, la proximité n’est pas l’échelle la plus pertinente pour la démocratisation ; elle aboutit à consulter ou à faire décider des citoyens sur des sujets mineurs, tandis que les décisions fondamentales d’une commune leur échappent. Par exemple, les schémas de cohérence territoriale, dont les enjeux portent sur vingt ans, sont établis par des délégués d’intercommunalités, soit des « représentants de représentants de représentants du peuple ». La légitimité issue du suffrage universel est ici pour le moins atténuée ; les efforts de participation peuvent-ils omettre de tels sujets ?
On peut aussi se demander s’il est réellement souhaitable qu’une collectivité se donne pour but le renforcement de la citoyenneté. La question paraît provocante, mais si la citoyenneté est évidemment un enjeu important, certaines actions de démocratisation n’en demeurent pas moins exclusivement ascendantes. Ainsi, la mobilisation des citoyens n’a pas du tout la même valeur selon qu’elle soit spontanée ou suscitée par le pouvoir. Le conflit est une étape essentielle dans la construction de la conscience civique : c’est par la défense des droits et intérêts d’un groupe de citoyens que l’apprentissage de l’action collective est le plus intense. Or, lorsque le pouvoir politique initie la participation à des fins de cohésion sociale, son message est paradoxal dans le meilleur des cas (« écoutez l’institution : soyez autonome »), paternaliste dans le pire (« écoutez l’institution : participez à l’animation de vos quartiers »).
Cette position peut aboutir à des résultats lorsque la collaboration s’installe, mais perd toute sa pertinence dès qu’une contradiction s’exprime. Quand un citoyen ou une association ne s’inscrit pas dans un rapport de coopération, cela est le plus souvent assimilé à un repli sur des intérêts particuliers ou à un manque de pédagogie. Puisque le bon citoyen est celui qui participe à la vie publique, celui qui refuse l’offre institutionnelle de participation est discrédité, quand bien même le motif de ce refus serait tout à fait respectable (le premier de tous étant l’absence de motivation à prendre sur son temps personnel pour discuter de sujets mineurs). A l’inverse, il devient difficile pour cette offre de susciter confiance et mobilisation.
Quel place du pouvoir politique dans la décision et la délibération ?
La participation envisagée dans un sens démocratique suppose donc de la part des élus à la fois de l’humilité et de l’ambition. L’humilité revient à accepter le fait que le pouvoir ne doive pas chercher la maîtrise d’éléments de démocratisation propres à la société civile. Elle se traduit aussi par la reconnaissance du caractère légitime et rationnel d’opinions divergentes. L’ambition réside dans la conciliation de ce respect avec la recherche d’un débat de qualité où les citoyens bénéficient d’une écoute équitable.
Cet objectif passe par un certain nombre de garanties procédurales. Celles-ci pourraient être recherchées parmi les principes guidant l’action de la Commission nationale du débat public (CNDP). Premièrement, il s’agit de garantir l’équivalence des participants : chacun, quel que soit son statut, bénéficie des mêmes moyens d’expression. Deuxièmement, la transparence et l’accessibilité de l’information sont totales. Troisièmement, une exigence d’argumentation est fixée, s’inspirant de la théorie de la démocratie délibérative : chaque opinion doit être justifiée et tenir compte des autres arguments exprimés. Enfin, il est souhaitable que les décideurs s’engagent à tenir compte de l’ensemble des positions exprimées ; il ne s’agit pas ici de reprendre forcément l’opinion majoritaire, mais plutôt de justifier la prise en compte ou le rejet des arguments exprimés au cours du débat. Un certain nombre de méthodes délibératives ont été créées, notamment dans le monde anglo-saxon, pour permettre la mise en œuvre de ces principes d’une manière adaptée à l’ampleur et la complexité de chaque sujet traité (panels de citoyens, sondage délibératif, etc.).
Autorité indépendante, la CNDP peut également représenter une source d’inspiration pour son statut de « tiers garant ». Séparer l’animateur du débat et le décideur améliore la confiance des participants dans l’équité des discussions. Il existera beaucoup moins de soupçons de manipulation du débat si l’animateur prouve son indépendance vis-à-vis du décideur. De ces règles du jeu claires, solides et garanties par un tiers, il sera possible en retour d’espérer un processus décisionnel plus juste et serein, une meilleure lisibilité et une plus grande légitimité de la décision publique. Un tel organisme autonome, assimilable à une « commission locale du débat public », se rencontre par exemple à la ville de Montréal.
Si cette forme de participation peut paraître trop institutionnelle, elle semble correspondre à ce que peut réaliser une institution politique en matière de participation démocratique. Dans ce domaine, le passage du militantisme à l’autorité politique amène un changement des modes d’action ; ce qui est pertinent de la part d’un parti ou d’une association peut ne plus l’être de la part d’une institution. L’enjeu pour les nouveaux élus locaux est de rester à l’écoute des formes d’expression développées par la société civile, sans céder à la tentation de s’y substituer. La garantie d’un cadre de discussion publique net, solide et juste représente dès lors la principale contribution du pouvoir à un progrès démocratique dont il ne pourra jamais être le dépositaire exclusif.
mardi 1 avril 2008
Le pouvoir peut-il démocratiser la société ?
Dans ses formes institutionnalisées, la "démocratie participative" présente le risque de n'accorder crédit qu'aux débats formels, spécialement construits par des professionnels, en négligeant les formes de dialogue et de constestation qui peuvent émerger spotanément au sein de la société. Une réelle démocratisation supposerait ainsi la vitalité à la fois des "débats sauvages" et des "débats d'élevage" *.
A ce propos, le point de vue du citoyen n'est pas tout à fait celui du fonctionnaire. Certes, je suis entièrement d'accord avec la nécessité d'articuler les formes institutionnalisées de participation avec les débats qui naissent spontanément dans la société. Mais il me semble qu'en s'attribuant cet objectif, certains élus risquent paradoxalement de s'immiscer dans la société civile plus qu'il ne serait souhaitable d'un point de vue démocratique.
A la lecture de programmes de candidats aux municipales dans certaines villes apparaît souvent le souci de remédier à une défaillance du lien social, de renforcer la démocratie par le soutien aux initiatives civiques ("citoyennes" dans le langage à la mode), à la vie associative, ... Je me demande si ces objectifs ne comportent pas des effets pervers : l'une des principales garanties démocratiques ne tient-elle pas justement au degré, certes d'organisation et de mobilisation, mais aussi d'autonomie de la société civile ? Peut-on réellement parler de démocratisation si dans les faits la mobilisation des citoyens dépend du soutien voire de l'initiative des pouvoirs publics ? Une autre garantie démocratique essentielle ne réside-t-elle pas dans la liberté du citoyen ?
Dans ce cas, je suis toujours gêné d'entendre des élus ou des fonctionnaires sous-entendre qu'il faudrait former de "bons citoyens", soucieux de l'intérêt général et pleinement acteurs de leur cadre de vie. Si je partage ce souhait d'un sens civique accru dans la société dans laquelle je vis, il me semble dangereux que ce soit l'institution qui se charge de cette croisade : le pouvoir n'a pas à définir qui est un bon citoyen et qui ne l'est pas, fût-ce avec des intentions tout à fait généreuses.
Ces démarches d'"empowerment institutionnel" semblent présenter cette faiblesse intrinsèque : efficaces dans une perspective de collaboration entre citoyens et pouvoir, sont-elles encore pertinentes en cas de conflit ? Voire dans certains cas, ne risquent-elles pas d'interdire la survenue de ces conflits, pourtant essentiels pour la maturation de la société civile ?
D'un point de vue professionnel, il me semble donc important de distinguer deux questions :
- 1°) Quelles sont les actions à développer pour renforcer la démocratie locale ?
- 2°) Quelles sont les actions que le pouvoir peut mener pour renforcer la démocratie locale ?
Je suis de plus en plus convaincu que certaines actions de démocratisation ne peuvent être qu'ascendantes : le pouvoir peut (et doit) y prêter attention et les intégrer à ses processus décisionnels, mais il n'est pas souhaitable qu'il les suscite lui-même ou s'y montre indispensable. Par définition, une démarche ascendante initiée par le pouvoir n'est pas ascendante ! Cela n'empêche pas l'action publique locale d'ignorer souvent ce paradoxe.
Considérant le volet "démocratisation", il serait peut-être plus pertinent que l'institution montre d'une part la modestie de se concentrer sur les "débats d'élevage" en acceptant le fait qu'ils ne représentent qu'un fragment de l'espace public, d'autre part l'ambition et le courage de garantir la qualité de ces débats, au travers d'une certaine indépendance des organisateurs/animateurs (par exemple par le biais d'une "commission locale du débat public").
D'autre part, si le pouvoir doit s'abstenir de faire naître des formes de mobilisation civique qui ne seraient que des succédanés, cela n'interdit pas pas pour autant de mener des politiques sociales et d'animation ! Toute la nuance réside dans le niveau d'autonomie indispensable qui doit être garanti aux citoyens et à leurs formes d'organisation collective. Si cette garantie existe évidemment en droit, une réelle démocratisation supposerait que cette autonomie soit encouragée dans les faits. Alors que de nombreux discours politiques soulignent la nécessité d'une présence institutionnelle accrue, ne faudrait-il dans une certaine mesure réhabiliter les vertus démocratiques de l'absence ?
* Expressions utilisées par Laurent Mermet, "Débattre sans savoir pourquoi", Le débat public, une expérience française de démocratie participative, sous la direction de Cécile Blatrix, Loïc Blondiaux, Jean-Michel Fourniau, Bertrand Hériard-Dubreuil, Rémi Lefebvre, Martine Revel, Paris, La Découverte, 2007
A ce propos, le point de vue du citoyen n'est pas tout à fait celui du fonctionnaire. Certes, je suis entièrement d'accord avec la nécessité d'articuler les formes institutionnalisées de participation avec les débats qui naissent spontanément dans la société. Mais il me semble qu'en s'attribuant cet objectif, certains élus risquent paradoxalement de s'immiscer dans la société civile plus qu'il ne serait souhaitable d'un point de vue démocratique.
A la lecture de programmes de candidats aux municipales dans certaines villes apparaît souvent le souci de remédier à une défaillance du lien social, de renforcer la démocratie par le soutien aux initiatives civiques ("citoyennes" dans le langage à la mode), à la vie associative, ... Je me demande si ces objectifs ne comportent pas des effets pervers : l'une des principales garanties démocratiques ne tient-elle pas justement au degré, certes d'organisation et de mobilisation, mais aussi d'autonomie de la société civile ? Peut-on réellement parler de démocratisation si dans les faits la mobilisation des citoyens dépend du soutien voire de l'initiative des pouvoirs publics ? Une autre garantie démocratique essentielle ne réside-t-elle pas dans la liberté du citoyen ?
Dans ce cas, je suis toujours gêné d'entendre des élus ou des fonctionnaires sous-entendre qu'il faudrait former de "bons citoyens", soucieux de l'intérêt général et pleinement acteurs de leur cadre de vie. Si je partage ce souhait d'un sens civique accru dans la société dans laquelle je vis, il me semble dangereux que ce soit l'institution qui se charge de cette croisade : le pouvoir n'a pas à définir qui est un bon citoyen et qui ne l'est pas, fût-ce avec des intentions tout à fait généreuses.
Ces démarches d'"empowerment institutionnel" semblent présenter cette faiblesse intrinsèque : efficaces dans une perspective de collaboration entre citoyens et pouvoir, sont-elles encore pertinentes en cas de conflit ? Voire dans certains cas, ne risquent-elles pas d'interdire la survenue de ces conflits, pourtant essentiels pour la maturation de la société civile ?
D'un point de vue professionnel, il me semble donc important de distinguer deux questions :
- 1°) Quelles sont les actions à développer pour renforcer la démocratie locale ?
- 2°) Quelles sont les actions que le pouvoir peut mener pour renforcer la démocratie locale ?
Je suis de plus en plus convaincu que certaines actions de démocratisation ne peuvent être qu'ascendantes : le pouvoir peut (et doit) y prêter attention et les intégrer à ses processus décisionnels, mais il n'est pas souhaitable qu'il les suscite lui-même ou s'y montre indispensable. Par définition, une démarche ascendante initiée par le pouvoir n'est pas ascendante ! Cela n'empêche pas l'action publique locale d'ignorer souvent ce paradoxe.
Considérant le volet "démocratisation", il serait peut-être plus pertinent que l'institution montre d'une part la modestie de se concentrer sur les "débats d'élevage" en acceptant le fait qu'ils ne représentent qu'un fragment de l'espace public, d'autre part l'ambition et le courage de garantir la qualité de ces débats, au travers d'une certaine indépendance des organisateurs/animateurs (par exemple par le biais d'une "commission locale du débat public").
D'autre part, si le pouvoir doit s'abstenir de faire naître des formes de mobilisation civique qui ne seraient que des succédanés, cela n'interdit pas pas pour autant de mener des politiques sociales et d'animation ! Toute la nuance réside dans le niveau d'autonomie indispensable qui doit être garanti aux citoyens et à leurs formes d'organisation collective. Si cette garantie existe évidemment en droit, une réelle démocratisation supposerait que cette autonomie soit encouragée dans les faits. Alors que de nombreux discours politiques soulignent la nécessité d'une présence institutionnelle accrue, ne faudrait-il dans une certaine mesure réhabiliter les vertus démocratiques de l'absence ?
* Expressions utilisées par Laurent Mermet, "Débattre sans savoir pourquoi", Le débat public, une expérience française de démocratie participative, sous la direction de Cécile Blatrix, Loïc Blondiaux, Jean-Michel Fourniau, Bertrand Hériard-Dubreuil, Rémi Lefebvre, Martine Revel, Paris, La Découverte, 2007
lundi 21 janvier 2008
Understanding deliberativeness : bridging theory and practice
Par Janette Hartz-Karp
(International journal of public participation)
L'auteur livre le résultat de sa participation, en tant que consultante, aux démarches délibératives initiées par l'Etat d'Australie occidentale. L'impulsion de ces démarches doit beaucoup à la ministre du plan et des infrastructures, Alannah MacTiernan, membre du Parti travailliste australien arrivé au pouvoir en 2001.
L'implantation d'éléments de démocratie délibérative a eu lieu dans un contexte où les modes traditionnels de consultation étaient largement discrédités ("DEAD process" : decide, educate, announce, defend)
La ministre s'est engagée à renforcer l'implication des citoyens dans l'élaboration des politiques publiques, et surtout à ce que les démarches délibératives se traduisent par une réelle influence sur les décisions.
S'appuyant sur deux événements délibératifs, un jury de citoyens sur un projet routier et une étude délibérative (dérivée du sondage délibératif) sur l'aménagement d'une zone littorale, l'auteur dégage un certain nombre d'éléments nécessaires au succès de telles démarches.
Elle retient le rôle fondamental de l'interaction entre trois critères :
- influence sur les décisions ;
- inclusion (occasion égale pour chaque citoyen de participer, prise en compte de la diversité des points de vue) ;
- délibération (information, compréhension, reformulation, dialogue, orientation vers l'intérêt général, examen des différentes options).
L'auteur insiste notamment sur le critère d'influence : pour gagner la confiance et l'implication des participants, il est essentiel de leur garantir que leur point de vue servira de base à une décision politique. Les citoyens sélectionnés ont ainsi conscience de leur responsabilité envers la communauté toute entière, ainsi que de l'importance des enjeux attachés à leurs réflexions, et s'engagent dans la délibération avec d'autant plus de sérieux.
Ordinairement, la délibération, sous quelque forme qu'elle se produise, est préparée par un comité de pilotage associant les différents porteurs d'intérêts, afin de garantir la transparence et l'équité du processus. En effet, si ces éléments sont reconnus par l'ensemble des acteurs, les produits de la délibération seront d'autant plus considérés comme légitimes. En revanche, si un acteur se plaint d'un défaut d'équité à l'une des étapes du processus (modalités de sélection, modalités de délibération, apport d'information, mode de décision, influence des décisions), c'est l'ensemble de la démarche qui risque alors d'être remise en cause.
Enfin, le succès d'un événement délibératif, envisagé du point de vue de la satisfaction des participants, tient également à la possiiblité laissée à ceux-ci de reformuler la problématique qui leur est soumise, dans des termes correspondant à leurs expériences, leurs besoins et leurs valeurs. Dans l'un des exemples, le problème posé par l'administration en termes de trafic s'est trouvé reformulé dans une perspective de sécurité des piétons.
Enfin, malgré tous les efforts pouvant être entrepris en la matière, il semble inévitable que le processus délibératif soit sujet à des remises en cause, particulièrement dans les sujets sur lesquels les opinions sont très polarisées.
http://www.iap2.org/associations/4748/files/Journal_Issue2_HartzKarp.pdf
(International journal of public participation)
L'auteur livre le résultat de sa participation, en tant que consultante, aux démarches délibératives initiées par l'Etat d'Australie occidentale. L'impulsion de ces démarches doit beaucoup à la ministre du plan et des infrastructures, Alannah MacTiernan, membre du Parti travailliste australien arrivé au pouvoir en 2001.
L'implantation d'éléments de démocratie délibérative a eu lieu dans un contexte où les modes traditionnels de consultation étaient largement discrédités ("DEAD process" : decide, educate, announce, defend)
La ministre s'est engagée à renforcer l'implication des citoyens dans l'élaboration des politiques publiques, et surtout à ce que les démarches délibératives se traduisent par une réelle influence sur les décisions.
S'appuyant sur deux événements délibératifs, un jury de citoyens sur un projet routier et une étude délibérative (dérivée du sondage délibératif) sur l'aménagement d'une zone littorale, l'auteur dégage un certain nombre d'éléments nécessaires au succès de telles démarches.
Elle retient le rôle fondamental de l'interaction entre trois critères :
- influence sur les décisions ;
- inclusion (occasion égale pour chaque citoyen de participer, prise en compte de la diversité des points de vue) ;
- délibération (information, compréhension, reformulation, dialogue, orientation vers l'intérêt général, examen des différentes options).
L'auteur insiste notamment sur le critère d'influence : pour gagner la confiance et l'implication des participants, il est essentiel de leur garantir que leur point de vue servira de base à une décision politique. Les citoyens sélectionnés ont ainsi conscience de leur responsabilité envers la communauté toute entière, ainsi que de l'importance des enjeux attachés à leurs réflexions, et s'engagent dans la délibération avec d'autant plus de sérieux.
Ordinairement, la délibération, sous quelque forme qu'elle se produise, est préparée par un comité de pilotage associant les différents porteurs d'intérêts, afin de garantir la transparence et l'équité du processus. En effet, si ces éléments sont reconnus par l'ensemble des acteurs, les produits de la délibération seront d'autant plus considérés comme légitimes. En revanche, si un acteur se plaint d'un défaut d'équité à l'une des étapes du processus (modalités de sélection, modalités de délibération, apport d'information, mode de décision, influence des décisions), c'est l'ensemble de la démarche qui risque alors d'être remise en cause.
Enfin, le succès d'un événement délibératif, envisagé du point de vue de la satisfaction des participants, tient également à la possiiblité laissée à ceux-ci de reformuler la problématique qui leur est soumise, dans des termes correspondant à leurs expériences, leurs besoins et leurs valeurs. Dans l'un des exemples, le problème posé par l'administration en termes de trafic s'est trouvé reformulé dans une perspective de sécurité des piétons.
Enfin, malgré tous les efforts pouvant être entrepris en la matière, il semble inévitable que le processus délibératif soit sujet à des remises en cause, particulièrement dans les sujets sur lesquels les opinions sont très polarisées.
http://www.iap2.org/associations/4748/files/Journal_Issue2_HartzKarp.pdf
jeudi 17 janvier 2008
La démocratie participative à la française : une citation qui résume tout
Lue sur Le Monde.fr du 16 janvier, cette citation de Martine Aubry :
"Vous n'avez pas compris ce qu'était la démocratie participative. La ville décide que l'on fera un logement social au nom de l'intérêt général. Point. Mais on a besoin de vous pour que vous nous disiez à quel emplacement situer les jeux d'enfants."
"Vous n'avez pas compris ce qu'était la démocratie participative. La ville décide que l'on fera un logement social au nom de l'intérêt général. Point. Mais on a besoin de vous pour que vous nous disiez à quel emplacement situer les jeux d'enfants."
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