Six ans après l’adoption de la loi sur la démocratie de proximité, les conseils de quartiers, ne semblent pas passer de mode dans les communes françaises. La campagne électorale a vu un certain nombre de candidats proposer la création de ces instances de « démocratie participative » dans les collectivités qui en étaient encore dépourvues. Mais si les premiers mois de mandat municipal voient çà et là éclore de nouveaux conseils de quartiers, la désillusion risque à terme d’être profonde, autant chez les élu que chez les citoyens : dans les faits, ces outils sont rarement les plus pertinents pour mener à bien une politique de participation des citoyens.
Trop souvent, la mise en place de conseils de quartiers relève d’une confusion entre le but (développer la participation des citoyens) et le moyen. Trop d’élus envisagent la mise en place de conseils de quartiers comme une fin en soi, sans mener une réflexion approfondie sur le potentiel et les limites de ce type d’instances. Pourtant, mettre en place une politique participative n’est pas anodin : cela commande d’agir dans plusieurs dimensions, y compris sur des terrains où le pouvoir est réticent à s’engager. Si la participation peut répondre à des attentes du pouvoir (animation des quartiers, lien social, relais d’information et de mobilisation, expertise d’usage des habitants), elle s’accompagne inévitablement d’autres besoins (expression de doléances, débat public sur des sujets d’intérêt général, sur des problématiques conflictuelles, débat sur les formes mêmes de participation).
Ces attentes appellent des réponses diversifiées : développer des projets d’animation de quartier nécessite un fonctionnement de type plutôt associatif autour d’un projet partagé, tandis que les concertations sur des sujets d’intérêt général demandent l’expression des opinions les plus diverses. Dès lors, appliquer une politique participative au travers d’un seul outil n’est guère efficace : à devoir servir à tout, les conseils de quartiers finissent par ne plus servir à grand-chose.
Des lieux pour développer le lien social ?
Dans des secteurs où la vie associative est particulièrement pauvre, un conseil de quartier peut contribuer à revitaliser le tissu social. Il s’agira ici plus d’un outil de développement social que de démocratie participative proprement dite. En revanche, lorsque la vie associative du quartier est déjà dense, des associations pourront vivre l’arrivée du conseil de quartier comme une mise en concurrence. D’autres investiront le conseil pour renforcer leur influence auprès du pouvoir, au détriment de structures moins puissantes.
De plus, un tel objectif n’est pas dépourvu de paternalisme : de l’argent public et des fonctionnaires sont mobilisés pour soutenir (et inévitablement pour contrôler) des événements que les habitants savaient autrefois organiser seuls (fêtes ou pique-niques de quartier). Le lien de dépendance qui s’instaure est d’autant moins sain que les conseils de quartier disposent parfois de budgets conséquents : l’écueil du clientélisme est parfois bien réel.
Des lieux d’expertise d’usage ?
Parmi les nombreux poncifs liés à la participation des citoyens, les habitants « seraient les meilleurs connaisseurs de leur quotidien ». Au sein des conseils de quartiers, les citoyens sont donc appelés à aider la municipalité à mettre en application le programme pour laquelle elle a été élue. Outre le fait qu’une telle demande impose à tous les participants de partager le projet de la majorité municipale, elle ne conduit pas forcément à de meilleures solutions techniques. Le simple fait d’habiter le quartier n’a jamais empêché quiconque de proférer des imbécillités.
Ce qui fait la différence ne tient pas à la qualité d’habitant, mais bien d’une part au niveau d’information et de réflexion des citoyens, d’autre part à la capacité d’écoute et de dialogue des fonctionnaires. Mettre en place des conseils de quartiers sans agir dans ces deux domaines ne peut pas produire des résultats satisfaisants.
Des lieux de débat démocratique ?
Le mot « consultatif » est sans doute le plus répandu dans les chartes des conseils de quartier français. La participation ne devrait pas permettre de remettre en question les orientations de la municipalité, puisque celles-ci sont légitimées par le suffrage universel. Fausse d’un point de vue théorique, cette assertion est aussi irréaliste : lorsque l’on donne la parole aux citoyens, ils l’utilisent comme bon leur semble. Si les oppositions ne peuvent s’exprimer en conseil de quartier, elles ne cesseront pas pour autant d’exister et trouveront toujours à s’exprimer ailleurs (presse, manifestations, création d’associations concurrentes, etc.).
Sur les sujets conflictuels (équipements polluants, accueil de populations défavorisées, etc.), il est dans l’intérêt stratégique d’une municipalité d’encourager un débat le plus ouvert, équilibré et argumenté possible. Si les espaces participatifs ne le permettent pas, ce débat aura de toute façon lieu dans la sphère publique, et ce de façon préjudiciable au pouvoir en place (opinions partiales et peu informées, polarisation du conflit, décrédibilisation des instances participatives municipales).
Or, un débat de qualité, au regard de la norme délibérative, est mené selon des modalités propres au sujet traité. Il faut que le temps du débat soit adapté au calendrier du projet (débattre du problème et non d’une solution déjà choisie). Il faut que le territoire de la participation corresponde à celui de la décision. Il faut que chaque acteur du problème puisse équitablement s’exprimer. Il faut que les citoyens non impliqués aient une occasion équitable de s’informer et de se forger une opinion.
En somme, l’espace participatif doit associer transparence de l’information, expression équitable des différents acteurs concernés, accès équitable des citoyens au débat et qualité argumentative des discussions. La « communauté débattante » doit ainsi se recomposer en fonction de chaque sujet traité, ce qui s’accommode mal du caractère figé des instances participatives permanentes.
Ordinairement, les problèmes constatés vis-à-vis des conseils de quartier sont considérés comme des défauts améliorables dans le temps. Le manque de représentativité, de lien avec la sphère publique, de qualité argumentative, d’influence sur les décisions, etc. pourraient ainsi être résolus par un effort de pédagogie et de communication. A force d’observation, on serait pourtant en droit de se demander si ces faiblesses ne tiennent pas à la nature même de ces instances. Le manque de réflexion sur cette question est d’autant plus regrettable qu’à l’étranger, des expériences autrement plus ambitieuses montrent tous les bienfaits d’une politique participative de qualité.
(original : http://www.mediapart.fr/club/blog/shen-faye-romain-lacuisse/171008/pour-en-finir-avec-les-conseils-de-quartier)
vendredi 17 octobre 2008
vendredi 10 octobre 2008
Il y a loin d’Helsingborg à Porto Alegre
Il y a loin d’Helsingborg à Porto Alegre, un cas pratique de démocratie délibérative
Journal of public deliberation, 2008
http://services.bepress.com/cgi/viewcontent.cgi?article=1071&context=jpd
Dans ce texte de 2008, Jakob Svensson analyse le fonctionnement des cinq comités civiques d’Helsingborg (120 000 habitants) au regard de la théorie délibérative. Vue de France, la Suède et plus généralement les pays du Nord de l’Europe apparaissent comme des terres de dialogue et de consensus, des cultures où l’esprit civique serait bien plus développé que dans nos contrées latines, presque des pays délibératifs par atavisme.
Pourtant, la Suède connaît elle aussi un désengagement des citoyens, un désintérêt des affaires publiques caractéristique de la « modernité tardive » dans laquelle est entré l’Occident. Cette tendance au déclin civique serait corrélée à l’atomisation et l’individualisation de nos sociétés. Pourtant, certaines formes de mobilisation connaissent un succès croissant : pétitions, manifestations, constitutions de communautés autour d’une question particulière, etc. Dans ce contexte, la démocratie délibérative pourrait être le moyen de revivifier l’intérêt des citoyens pour des formes politiques plus institutionnelles.
La municipalité d’Helsingborg envisage ainsi la délibération publique comme un moyen de dépasser une participation jusqu’ici envisagée par le citoyen dans un but purement consumériste (obtenir une action des services publics dans son environnement immédiat). Ce que l’auteur nomme « politique de trottoir » ressemble ainsi fortement à notre démocratie « de proximité », où les réunions publiques sont centrées sur des questions d’éclairage public, de déjections canines, etc.
Sur ce point, la ville d’Helsingborg a pris une position que peu de municipalités françaises ont encore adopté : orienter la participation des citoyens sur les sujets d’intérêt général les plus importants, notamment l’aménagement urbain, loin de l’idée reçu selon laquelle « les citoyens ne voient que leur bout de trottoir ».
Le « tournant délibératif » d’Helsingborg se manifeste par un remodelage important de l’organisation municipale : cinq comités civiques sont donc créés (d’une superficie plus vaste que le quartier, rappelons que les municipalités suédoises équivalent à nos intercommunalités) dotés chacun de 14 élus. Parallèlement demeurent 7 commissions thématiques. Dans un souci de transversalité, les comités civiques sont constitués de deux élus membres de chaque commission thématique et, réciproquement, chaque commission thématique comporte deux élus de chaque comité civique. Ainsi, les comités disposent de personnes compétentes dans tous les thèmes de l’action municipale et les commissions thématiques disposent de représentants de chaque secteur géographique. Les comités civiques sont chargés de favoriser la participation du public et d’encourager le dialogue entre citoyens et décideurs. Pour ce faire, des actions très diverses ont été entreprises, au-delà des simples réunions publiques.
En dépassant résolument la notion de proximité, la participation à Helsingborg se rapproche des standards délibératifs mieux que n’y parvient la participation française classique. Cependant, certains défauts empêchent cette politique d’être totalement satisfaisante.
En premier lieu, l’égalité des citoyens à l’intérieur des espaces délibératifs n’est pas acquise : les plus éloquents et les plus familiers du discours publics gardent un avantage certain. En effet, les animateurs des réunions sont des élus ou des fonctionnaires, qui n’ont pas été formés pour cela. Or, la présence de facilitateurs professionnels et indépendants est une clé essentielle de la réussite des expériences délibératives. Autre point concernant les inégalités, la représentativité des participants n’est pas acquise : on retrouve la sous-représentation habituelle des jeunes et des immigrés. Comme en France encore, cette absence de représentativité est un atout stratégique pour les élus : elle permet de disqualifier les oppositions exprimées en réunion (« vous ne représentez que vous-mêmes ») tout en louant la concertation lorsqu’elle aboutit à un consensus.
Surtout, la nature purement consultative des comités civiques pose problème. Les élus d’Helsingborg, comme nombre de leurs homologues dans d’autres pays, se méfient d’une participation qui remettrait en cause leur pouvoir de décision. L’influence réelle de la participation sur la décision a été, comme souvent, totalement éludée. La mise en œuvre des recommandations émises par les comités civiques est rendue difficile pour deux raisons. La première est la configuration du processus décisionnel, qui interpose les commissions thématiques entre les comités civiques et le conseil municipal. La seconde est la délégation au sein des comités civiques d’élus de second rang qui, face aux élus délégués uniquement dans une commission thématique ont rarement la faveur des arbitrages municipaux.
Ainsi, en France comme en Suède, c’est l’articulation entre participation et décision qui semble constituer le point de blocage le plus gênant lorsqu’il s’agit de mettre en œuvre la démocratie délibérative dans un cadre représentatif. Un problème que n’ont pas les régimes autoritaires, souligne ironiquement Jakob Svensson : lorsque le Parti communiste chinois met en œuvre une procédure délibérative, les résultats de la discussion sont mis en œuvre bien plus directement !
Journal of public deliberation, 2008
http://services.bepress.com/cgi/viewcontent.cgi?article=1071&context=jpd
Dans ce texte de 2008, Jakob Svensson analyse le fonctionnement des cinq comités civiques d’Helsingborg (120 000 habitants) au regard de la théorie délibérative. Vue de France, la Suède et plus généralement les pays du Nord de l’Europe apparaissent comme des terres de dialogue et de consensus, des cultures où l’esprit civique serait bien plus développé que dans nos contrées latines, presque des pays délibératifs par atavisme.
Pourtant, la Suède connaît elle aussi un désengagement des citoyens, un désintérêt des affaires publiques caractéristique de la « modernité tardive » dans laquelle est entré l’Occident. Cette tendance au déclin civique serait corrélée à l’atomisation et l’individualisation de nos sociétés. Pourtant, certaines formes de mobilisation connaissent un succès croissant : pétitions, manifestations, constitutions de communautés autour d’une question particulière, etc. Dans ce contexte, la démocratie délibérative pourrait être le moyen de revivifier l’intérêt des citoyens pour des formes politiques plus institutionnelles.
La municipalité d’Helsingborg envisage ainsi la délibération publique comme un moyen de dépasser une participation jusqu’ici envisagée par le citoyen dans un but purement consumériste (obtenir une action des services publics dans son environnement immédiat). Ce que l’auteur nomme « politique de trottoir » ressemble ainsi fortement à notre démocratie « de proximité », où les réunions publiques sont centrées sur des questions d’éclairage public, de déjections canines, etc.
Sur ce point, la ville d’Helsingborg a pris une position que peu de municipalités françaises ont encore adopté : orienter la participation des citoyens sur les sujets d’intérêt général les plus importants, notamment l’aménagement urbain, loin de l’idée reçu selon laquelle « les citoyens ne voient que leur bout de trottoir ».
Le « tournant délibératif » d’Helsingborg se manifeste par un remodelage important de l’organisation municipale : cinq comités civiques sont donc créés (d’une superficie plus vaste que le quartier, rappelons que les municipalités suédoises équivalent à nos intercommunalités) dotés chacun de 14 élus. Parallèlement demeurent 7 commissions thématiques. Dans un souci de transversalité, les comités civiques sont constitués de deux élus membres de chaque commission thématique et, réciproquement, chaque commission thématique comporte deux élus de chaque comité civique. Ainsi, les comités disposent de personnes compétentes dans tous les thèmes de l’action municipale et les commissions thématiques disposent de représentants de chaque secteur géographique. Les comités civiques sont chargés de favoriser la participation du public et d’encourager le dialogue entre citoyens et décideurs. Pour ce faire, des actions très diverses ont été entreprises, au-delà des simples réunions publiques.
En dépassant résolument la notion de proximité, la participation à Helsingborg se rapproche des standards délibératifs mieux que n’y parvient la participation française classique. Cependant, certains défauts empêchent cette politique d’être totalement satisfaisante.
En premier lieu, l’égalité des citoyens à l’intérieur des espaces délibératifs n’est pas acquise : les plus éloquents et les plus familiers du discours publics gardent un avantage certain. En effet, les animateurs des réunions sont des élus ou des fonctionnaires, qui n’ont pas été formés pour cela. Or, la présence de facilitateurs professionnels et indépendants est une clé essentielle de la réussite des expériences délibératives. Autre point concernant les inégalités, la représentativité des participants n’est pas acquise : on retrouve la sous-représentation habituelle des jeunes et des immigrés. Comme en France encore, cette absence de représentativité est un atout stratégique pour les élus : elle permet de disqualifier les oppositions exprimées en réunion (« vous ne représentez que vous-mêmes ») tout en louant la concertation lorsqu’elle aboutit à un consensus.
Surtout, la nature purement consultative des comités civiques pose problème. Les élus d’Helsingborg, comme nombre de leurs homologues dans d’autres pays, se méfient d’une participation qui remettrait en cause leur pouvoir de décision. L’influence réelle de la participation sur la décision a été, comme souvent, totalement éludée. La mise en œuvre des recommandations émises par les comités civiques est rendue difficile pour deux raisons. La première est la configuration du processus décisionnel, qui interpose les commissions thématiques entre les comités civiques et le conseil municipal. La seconde est la délégation au sein des comités civiques d’élus de second rang qui, face aux élus délégués uniquement dans une commission thématique ont rarement la faveur des arbitrages municipaux.
Ainsi, en France comme en Suède, c’est l’articulation entre participation et décision qui semble constituer le point de blocage le plus gênant lorsqu’il s’agit de mettre en œuvre la démocratie délibérative dans un cadre représentatif. Un problème que n’ont pas les régimes autoritaires, souligne ironiquement Jakob Svensson : lorsque le Parti communiste chinois met en œuvre une procédure délibérative, les résultats de la discussion sont mis en œuvre bien plus directement !
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