Le document ci-dessous tente de définir les contours d’une participation résolument orientée vers une démocratisation du système politique local. Il prend la forme du projet que doit rédiger tout attaché territorial dans l’année de sa nomination, auquel s’ajoute une annexe plus théorique présentant des pistes de justifications théoriques pour les propositions effectuées dans ce projet.
Du constat des dysfonctionnements de la démarche participative vendômoise s’est développée la réflexion sur les fragiles soubassements de la « démocratie participative » française. De là s’est posée la nécessité de cette annexe plus théorique, visant à se réinterroger sur ce qui fonde une démocratie à l’échelon territorial. Le recours aux théories et méthodes délibératives est évoqué, en complément à la fois au système représentatif et aux scènes plus conflictuelles où se jouent ordinairement les rapports entre société civile et pouvoir.
Sur cette base, le rapport proprement dit propose l’institution d’une charte dans laquelle l’autorité politique s’engagerait à respecter les principes de la délibération publique dans ses processus décisionnels. Les méthodes proposées pour cela s’inspirent à la fois des procédures de la commission nationale du débat public, des différents « mini-publics » réunissant un échantillon de citoyens souvent sélectionnés par tirage au sort (avec un accent sur l’un des plus ambitieux, le sondage délibératif), ainsi que des « artisans de la participation », acteurs capables de mobiliser les citoyens les plus éloignés de la parole publique. L’articulation de ces objectifs et de ces méthodes esquisse un cadre d’action pour les personnes chargées d’organiser et d’animer les espaces délibératifs, que ceux-ci soient permanents ou liés à une problématique particulière. Ce cadre ce caractérise par des garanties d’indépendance et de neutralité, une adaptation constante au contexte local ainsi que par la recherche d’une certaine collégialité dans l’exercice de ces fonctions.
vendredi 23 mai 2008
mercredi 21 mai 2008
Participation et démocratie locale : des contradictions à dépasser, des garanties à établir
Publié le 11 mai 2008 sur Mediapart (http://www.mediapart.fr/club/edition/changer-de-republique/article/110508/participation-et-democratie-locale%C2%A0-des-contradict)
A l’occasion des dernières élections municipales, nombre de candidats ont inclus à leurs thèmes de campagne une participation renforcée des citoyens à la démocratie locale. Sous des vocables différents, la volonté de compléter la représentation par une implication accrue des habitants à la vie publique demeure vivace.
Aujourd’hui, les formes de participation locale demeurent variées dans leurs moyens comme dans leurs objectifs. Ce foisonnement est aussi une source de fragilité ; l’absence de normes procédurales reconnues contribue à l’imprécision des buts et méthodes de la participation, sapant peu à peu la confiance des citoyens. Alors que s’annonce une nouvelle vague de création d’instances participatives locales par les nouveaux élus, des interrogations préalables sur des notions telles que la légitimité, la décision ou le contre-pouvoir sont indispensables, sans quoi ces dispositifs resteront pénalisés par leurs « impensés ».
Pourquoi est-il bon de faire participer les citoyens ?
Sensibles à la « démocratie participative », nous pouvons être tentés de penser que la participation des citoyens est intrinsèquement une bonne chose. Pourtant, elle peut regrouper plusieurs objectifs qui, si l’on n’y prend garde, risquent de s’entraver mutuellement. On peut premièrement compter sur l’expertise d’usage de la population pour aider l’administration à rendre un service plus efficace et plus adapté aux usagers : selon l’expression consacrée, « l’habitant est le meilleur expert de son quotidien ». Il est possible ensuite d’assigner à la participation une mission de cohésion sociale : en participant, les habitants renforcent leur sentiment d’appartenance collective, le respect mutuel, la volonté d’agir ensemble, autant de composantes d’une citoyenneté accomplie.
Cependant, si ces deux dimensions s’hypertrophient, elles nuiront à un troisième objectif : le renforcement du caractère démocratique du système politique local. En effet, expertise d’usage et cohésion sociale s’incarnent dans des dispositifs de proximité, dont les conseils de quartiers sont la meilleure illustration. Or, malgré la loi de 2002, la proximité n’est pas l’échelle la plus pertinente pour la démocratisation ; elle aboutit à consulter ou à faire décider des citoyens sur des sujets mineurs, tandis que les décisions fondamentales d’une commune leur échappent. Par exemple, les schémas de cohérence territoriale, dont les enjeux portent sur vingt ans, sont établis par des délégués d’intercommunalités, soit des « représentants de représentants de représentants du peuple ». La légitimité issue du suffrage universel est ici pour le moins atténuée ; les efforts de participation peuvent-ils omettre de tels sujets ?
On peut aussi se demander s’il est réellement souhaitable qu’une collectivité se donne pour but le renforcement de la citoyenneté. La question paraît provocante, mais si la citoyenneté est évidemment un enjeu important, certaines actions de démocratisation n’en demeurent pas moins exclusivement ascendantes. Ainsi, la mobilisation des citoyens n’a pas du tout la même valeur selon qu’elle soit spontanée ou suscitée par le pouvoir. Le conflit est une étape essentielle dans la construction de la conscience civique : c’est par la défense des droits et intérêts d’un groupe de citoyens que l’apprentissage de l’action collective est le plus intense. Or, lorsque le pouvoir politique initie la participation à des fins de cohésion sociale, son message est paradoxal dans le meilleur des cas (« écoutez l’institution : soyez autonome »), paternaliste dans le pire (« écoutez l’institution : participez à l’animation de vos quartiers »).
Cette position peut aboutir à des résultats lorsque la collaboration s’installe, mais perd toute sa pertinence dès qu’une contradiction s’exprime. Quand un citoyen ou une association ne s’inscrit pas dans un rapport de coopération, cela est le plus souvent assimilé à un repli sur des intérêts particuliers ou à un manque de pédagogie. Puisque le bon citoyen est celui qui participe à la vie publique, celui qui refuse l’offre institutionnelle de participation est discrédité, quand bien même le motif de ce refus serait tout à fait respectable (le premier de tous étant l’absence de motivation à prendre sur son temps personnel pour discuter de sujets mineurs). A l’inverse, il devient difficile pour cette offre de susciter confiance et mobilisation.
Quel place du pouvoir politique dans la décision et la délibération ?
La participation envisagée dans un sens démocratique suppose donc de la part des élus à la fois de l’humilité et de l’ambition. L’humilité revient à accepter le fait que le pouvoir ne doive pas chercher la maîtrise d’éléments de démocratisation propres à la société civile. Elle se traduit aussi par la reconnaissance du caractère légitime et rationnel d’opinions divergentes. L’ambition réside dans la conciliation de ce respect avec la recherche d’un débat de qualité où les citoyens bénéficient d’une écoute équitable.
Cet objectif passe par un certain nombre de garanties procédurales. Celles-ci pourraient être recherchées parmi les principes guidant l’action de la Commission nationale du débat public (CNDP). Premièrement, il s’agit de garantir l’équivalence des participants : chacun, quel que soit son statut, bénéficie des mêmes moyens d’expression. Deuxièmement, la transparence et l’accessibilité de l’information sont totales. Troisièmement, une exigence d’argumentation est fixée, s’inspirant de la théorie de la démocratie délibérative : chaque opinion doit être justifiée et tenir compte des autres arguments exprimés. Enfin, il est souhaitable que les décideurs s’engagent à tenir compte de l’ensemble des positions exprimées ; il ne s’agit pas ici de reprendre forcément l’opinion majoritaire, mais plutôt de justifier la prise en compte ou le rejet des arguments exprimés au cours du débat. Un certain nombre de méthodes délibératives ont été créées, notamment dans le monde anglo-saxon, pour permettre la mise en œuvre de ces principes d’une manière adaptée à l’ampleur et la complexité de chaque sujet traité (panels de citoyens, sondage délibératif, etc.).
Autorité indépendante, la CNDP peut également représenter une source d’inspiration pour son statut de « tiers garant ». Séparer l’animateur du débat et le décideur améliore la confiance des participants dans l’équité des discussions. Il existera beaucoup moins de soupçons de manipulation du débat si l’animateur prouve son indépendance vis-à-vis du décideur. De ces règles du jeu claires, solides et garanties par un tiers, il sera possible en retour d’espérer un processus décisionnel plus juste et serein, une meilleure lisibilité et une plus grande légitimité de la décision publique. Un tel organisme autonome, assimilable à une « commission locale du débat public », se rencontre par exemple à la ville de Montréal.
Si cette forme de participation peut paraître trop institutionnelle, elle semble correspondre à ce que peut réaliser une institution politique en matière de participation démocratique. Dans ce domaine, le passage du militantisme à l’autorité politique amène un changement des modes d’action ; ce qui est pertinent de la part d’un parti ou d’une association peut ne plus l’être de la part d’une institution. L’enjeu pour les nouveaux élus locaux est de rester à l’écoute des formes d’expression développées par la société civile, sans céder à la tentation de s’y substituer. La garantie d’un cadre de discussion publique net, solide et juste représente dès lors la principale contribution du pouvoir à un progrès démocratique dont il ne pourra jamais être le dépositaire exclusif.
A l’occasion des dernières élections municipales, nombre de candidats ont inclus à leurs thèmes de campagne une participation renforcée des citoyens à la démocratie locale. Sous des vocables différents, la volonté de compléter la représentation par une implication accrue des habitants à la vie publique demeure vivace.
Aujourd’hui, les formes de participation locale demeurent variées dans leurs moyens comme dans leurs objectifs. Ce foisonnement est aussi une source de fragilité ; l’absence de normes procédurales reconnues contribue à l’imprécision des buts et méthodes de la participation, sapant peu à peu la confiance des citoyens. Alors que s’annonce une nouvelle vague de création d’instances participatives locales par les nouveaux élus, des interrogations préalables sur des notions telles que la légitimité, la décision ou le contre-pouvoir sont indispensables, sans quoi ces dispositifs resteront pénalisés par leurs « impensés ».
Pourquoi est-il bon de faire participer les citoyens ?
Sensibles à la « démocratie participative », nous pouvons être tentés de penser que la participation des citoyens est intrinsèquement une bonne chose. Pourtant, elle peut regrouper plusieurs objectifs qui, si l’on n’y prend garde, risquent de s’entraver mutuellement. On peut premièrement compter sur l’expertise d’usage de la population pour aider l’administration à rendre un service plus efficace et plus adapté aux usagers : selon l’expression consacrée, « l’habitant est le meilleur expert de son quotidien ». Il est possible ensuite d’assigner à la participation une mission de cohésion sociale : en participant, les habitants renforcent leur sentiment d’appartenance collective, le respect mutuel, la volonté d’agir ensemble, autant de composantes d’une citoyenneté accomplie.
Cependant, si ces deux dimensions s’hypertrophient, elles nuiront à un troisième objectif : le renforcement du caractère démocratique du système politique local. En effet, expertise d’usage et cohésion sociale s’incarnent dans des dispositifs de proximité, dont les conseils de quartiers sont la meilleure illustration. Or, malgré la loi de 2002, la proximité n’est pas l’échelle la plus pertinente pour la démocratisation ; elle aboutit à consulter ou à faire décider des citoyens sur des sujets mineurs, tandis que les décisions fondamentales d’une commune leur échappent. Par exemple, les schémas de cohérence territoriale, dont les enjeux portent sur vingt ans, sont établis par des délégués d’intercommunalités, soit des « représentants de représentants de représentants du peuple ». La légitimité issue du suffrage universel est ici pour le moins atténuée ; les efforts de participation peuvent-ils omettre de tels sujets ?
On peut aussi se demander s’il est réellement souhaitable qu’une collectivité se donne pour but le renforcement de la citoyenneté. La question paraît provocante, mais si la citoyenneté est évidemment un enjeu important, certaines actions de démocratisation n’en demeurent pas moins exclusivement ascendantes. Ainsi, la mobilisation des citoyens n’a pas du tout la même valeur selon qu’elle soit spontanée ou suscitée par le pouvoir. Le conflit est une étape essentielle dans la construction de la conscience civique : c’est par la défense des droits et intérêts d’un groupe de citoyens que l’apprentissage de l’action collective est le plus intense. Or, lorsque le pouvoir politique initie la participation à des fins de cohésion sociale, son message est paradoxal dans le meilleur des cas (« écoutez l’institution : soyez autonome »), paternaliste dans le pire (« écoutez l’institution : participez à l’animation de vos quartiers »).
Cette position peut aboutir à des résultats lorsque la collaboration s’installe, mais perd toute sa pertinence dès qu’une contradiction s’exprime. Quand un citoyen ou une association ne s’inscrit pas dans un rapport de coopération, cela est le plus souvent assimilé à un repli sur des intérêts particuliers ou à un manque de pédagogie. Puisque le bon citoyen est celui qui participe à la vie publique, celui qui refuse l’offre institutionnelle de participation est discrédité, quand bien même le motif de ce refus serait tout à fait respectable (le premier de tous étant l’absence de motivation à prendre sur son temps personnel pour discuter de sujets mineurs). A l’inverse, il devient difficile pour cette offre de susciter confiance et mobilisation.
Quel place du pouvoir politique dans la décision et la délibération ?
La participation envisagée dans un sens démocratique suppose donc de la part des élus à la fois de l’humilité et de l’ambition. L’humilité revient à accepter le fait que le pouvoir ne doive pas chercher la maîtrise d’éléments de démocratisation propres à la société civile. Elle se traduit aussi par la reconnaissance du caractère légitime et rationnel d’opinions divergentes. L’ambition réside dans la conciliation de ce respect avec la recherche d’un débat de qualité où les citoyens bénéficient d’une écoute équitable.
Cet objectif passe par un certain nombre de garanties procédurales. Celles-ci pourraient être recherchées parmi les principes guidant l’action de la Commission nationale du débat public (CNDP). Premièrement, il s’agit de garantir l’équivalence des participants : chacun, quel que soit son statut, bénéficie des mêmes moyens d’expression. Deuxièmement, la transparence et l’accessibilité de l’information sont totales. Troisièmement, une exigence d’argumentation est fixée, s’inspirant de la théorie de la démocratie délibérative : chaque opinion doit être justifiée et tenir compte des autres arguments exprimés. Enfin, il est souhaitable que les décideurs s’engagent à tenir compte de l’ensemble des positions exprimées ; il ne s’agit pas ici de reprendre forcément l’opinion majoritaire, mais plutôt de justifier la prise en compte ou le rejet des arguments exprimés au cours du débat. Un certain nombre de méthodes délibératives ont été créées, notamment dans le monde anglo-saxon, pour permettre la mise en œuvre de ces principes d’une manière adaptée à l’ampleur et la complexité de chaque sujet traité (panels de citoyens, sondage délibératif, etc.).
Autorité indépendante, la CNDP peut également représenter une source d’inspiration pour son statut de « tiers garant ». Séparer l’animateur du débat et le décideur améliore la confiance des participants dans l’équité des discussions. Il existera beaucoup moins de soupçons de manipulation du débat si l’animateur prouve son indépendance vis-à-vis du décideur. De ces règles du jeu claires, solides et garanties par un tiers, il sera possible en retour d’espérer un processus décisionnel plus juste et serein, une meilleure lisibilité et une plus grande légitimité de la décision publique. Un tel organisme autonome, assimilable à une « commission locale du débat public », se rencontre par exemple à la ville de Montréal.
Si cette forme de participation peut paraître trop institutionnelle, elle semble correspondre à ce que peut réaliser une institution politique en matière de participation démocratique. Dans ce domaine, le passage du militantisme à l’autorité politique amène un changement des modes d’action ; ce qui est pertinent de la part d’un parti ou d’une association peut ne plus l’être de la part d’une institution. L’enjeu pour les nouveaux élus locaux est de rester à l’écoute des formes d’expression développées par la société civile, sans céder à la tentation de s’y substituer. La garantie d’un cadre de discussion publique net, solide et juste représente dès lors la principale contribution du pouvoir à un progrès démocratique dont il ne pourra jamais être le dépositaire exclusif.
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